Warner réédite un riche coffret des enregistrements d’Alfred Cortot, le mythique fondateur de l’École normale de musique.

Alfred Cortot - Warner Edition 40CD

Alfred Cortot

The Warner Classics Edition

40 CD, warner

Malgré un prestige gravement terni par son active collaboration au régime de Vichy durant l’occupation allemande – période noire sur laquelle le livret apporte des éclaircissements –, Alfred Cortot demeure une figure de proue, non seulement de l’histoire du piano français mais aussi du piano au XXe siècle. Dans cette réédition d’un coffret anniversaire publié par EMI en 2012, Warner rassemble ici une vaste part, mais non la totalité, de sa considérable discographie, étendue sur quatre décennies (1919-1959) et remastérisée par l’excellent studio Art et Son.

Elle témoigne de l’immensité de son répertoire, certes centré sur les romantiques (Chopin avant tout, mais aussi Liszt, Schumann, Mendelssohn, Franck ou Weber), mais qui fait également une large place, quoique très sélective, aux auteurs français (Saint-Saëns, Debussy, Ravel ou Fauré). Les vingt-huit premiers disques explorent par ordre chronologique sa carrière de soliste, le montrant au sommet de son art comme de sa production phonographique dans l’entre-deux-guerres. Partout on entend cette ivresse de liberté, déployée (presque) sans limites par ce conteur éternellement inspiré, à la spontanéité élaborée, aux sonorités magiques, à la personnalité magnétique et à la culture encyclopédique. On (re)découvrira ici I’interprète par excellence de Chopin et ses visions essentielles, parfois multiples, des Préludes, Impromptus, Ballades, Valses et Études, comme d’un choix de Nocturnes, de Polonaises et de Mazurkas, ainsi que des deux dernières Sonates.

Technique flamboyante

Dans les Kreisleriana et les Davidsbündlertänze de Schumann, qu’il fut le premier à enregistrer, son instinct fantasque est tel qu’on croirait presque qu’il improvise, tandis que, pionnier encore au disque dans la sonate de Liszt, il éblouit toujours près d’un siècle plus tard par la flamboyance de sa technique d’alors. Les cinq galettes suivantes retracent son parcours de musicien de chambre aux côtés de Jacques Thibaud, dans de mémorables versions des sonates de Franck, Fauré et Debussy. Le charme naturel du violoniste, personnage raffiné et amoureux de la vie, allié au toucher magique du pianiste, reste un symbole intemporel de l’élégance française. Quant aux témoignages de l’illustre trio qu’ils formèrent avec Pablo Casals, ils sont tous là, légendaires, restitués dans la dynamique et les timbres des cires originales. Un « Archiduc » superbe de dignité et des Variations « Kakadu » subtilement colorées, un premier trio de Schubert gracieux et plein de saveurs libertines, puis un Mendelssohn au lyrisme généreux et échevelé démontrent partout la justesse des climats.

Dans l’ombrageux Trio en ré mineur de Schumann, les portamentos de Thibaud et les gémissements de Casals accusent les tourments de l’œuvre, tandis que leur vision pleine de bonne humeur du Trio « à la hongroise » de Haydn multiplie les clins d’œil. Un épique Quintette de Franck et un poignant Concert de Chausson, menés tous deux de main de maître depuis le clavier, complètent le volet chambriste. L’expérience de Cortot chef d’orchestre est illustrée par une intégrale des Concertos brandebourgeois, vive bien que datée, mais aussi dans la bouillonnante fraternité que Thibaud et Casals trouvent sous sa baguette lors du premier enregistrement du Double Concerto de Brahms. Un volume témoigne de son talent d’accompagnateur de chanteurs (Charles Panzera, Maggie Teyte), tandis que les trois derniers regroupent quelques témoignages tardifs de son intense activité de pédagogue autour de plusieurs sonates de Beethoven, en inspirateur inépuisable qu’il fut de tant de disciples tout au long de sa vie, parmi lesquels Yvonne Lefébure, Samson François, Dinu Lipatti, Clara Haskil ou Vlado Perlemuter. Une somme incontournable.

Pour plus d’informations

www.warnerclassics.com/fr/artist/alfred-cortot