Rythmé et coloré, son premier disque autour de Gershwin et Bernstein a mis en lumière le talent d’une interprète découvreuse et passionnée, à l’aise en solo, en mélodie comme en musique de chambre.

Comment est née votre vocation musicale ?

J’ai une mère et une sœur aînée comédiennes et un père ingénieur des Mines, fou de musique et pianiste amateur de très bon niveau – depuis mes années d’enfance il s’est d’ailleurs reconverti et est devenu professeur de piano ! C’est lui qui a favorisé mes débuts au clavier vers l’âge de 6 ans, mais pour autant je n’ai pas été « poussée » par le milieu familial comme peuvent l’être d’autres jeunes musiciens. Tout se passait bien, j’avançais vite. Après le conservatoire dans le 17e arrondissement, j’ai pris la direction du CRR de Paris dans le cadre d’études à horaires aménagés. Pour dire la vérité, je songeais plutôt à devenir vétérinaire à l’époque.

Quel a été le déclic qui vous a fait choisir une carrière musicale ?

Emmanuel Mercier, mon professeur au CRR, était assistant de Brigitte Engerer au conservatoire et il m’a un jour proposé de la rencontrer pour lui jouer du Schumann. Avec elle, j’ai découvert la dimension affective, narrative de la musique. Jusque-là, j’avais eu tendance à approcher les partitions de manière trop intellectuelle. Brigitte m’a appris à raconter des histoires en musique, un monde s’ouvrait à moi… C’est là que le déclic s’est produit ! Parallèlement à mes études au conservatoire, j’ai continué à travailler régulièrement avec elle. Je me souviens d’un cours – un jour de déboires sentimentaux – où je suis arrivée chez elle avec le moral à zéro. Elle a su me faire réinvestir tout ce que j’éprouvais dans la musique, pleurer, enrager en musique ! Aucun professeur ne m’avait fait vivre ça !

Crédit photo : Capucine de Chocqueuse / Manuel Braun

✔ 20 sept. Récital au festival de Besançon
✔ 3 oct. Récital au château de Lourmarin
✔ 12 oct. Récital avec M.-L. Garnier
au festival Piano en Valois (Angoulême)
✔ 6 déc. Récital à Paris
(église Saint-Pierre de Montmartre)

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Piano, musique de chambre, direction vocale, accompagnement vocal et au piano : la décennie au CNSM de Paris a été particulièrement riche. On se perd un peu dans ce millefeuille…

C’est vrai, j’ai coutume de résumer les choses en disant que je suis entrée pour la première fois dans cette école en 2010 et que j’en suis sortie pour la dernière fois en 2019, avec cinq prix. Je suis d’abord entrée en accompagnement. Après une année très enrichissante auprès de Florent Boffard (à Lyon), je suis entrée chez Claire Désert, en piano et musique de chambre. Merveilleuse rencontre : c’est une pédagogue d’une grande bienveillance avec ses élèves, très intelligente et très pragmatique. En plus de cela, les classes de direction vocale avec Erika Guiomar, d’accompagnement vocal avec Anne Le Bozec et d’accompagnement au piano avec Jean-Frédéric Neuburger m’ont énormément apporté.

Vous avez aussi travaillé avec Rena Shereshevskaya. Que retenez-vous de cette rencontre ?

J’ai connu Rena dès 2010, grâce à Brigitte Engerer. Après mon prix de piano au CNSM en 2016, j’ai travaillé intensivement auprès d’elle à l’École normale pendant deux ans. Son enseignement est très nourrissant, gorgé de symboles et d’une exigence totale. Elle peut vous faire passer quatre cours de suite sur les quatre premières mesures de la Ballade n°4 de Chopin ! Pour ne rien vous cacher, il m’arrive encore parfois de rêver de leçons de piano avec elle…

Votre nom est étroitement associé à celui de la soprano Marie-Laure Garnier. Parlez-nous de cette collaboration et, par-delà l’activité de votre duo, de votre rapport à la voix, au chant de façon générale…

J’ai rencontré Marie-Laure en 2004 au CRR en classe de solfège – elle était flûtiste à l’époque –, mais c’est au CNSMDP que nous avons appris à nous connaître et que notre duo s’est formé. Nous avons une complicité très forte et nous défendons la mélodie et le lied avec conviction. Notre duo a été lauréat du Concours Nadia et Lili Boulanger en 2017, puis en 2018 lauréat HSBC de l’académie d’Aix et de l’académie Orsay-Royaumont, ce qui nous a beaucoup encouragées et permis de nous produire sur de très belles scènes en France et à l’étranger. Parler de chant, c’est aussi parler de respiration. Nous faisons souvent des exercices en commun avec Marie-Laure. Au conservatoire, Anne LeBozec et Susan Manoff m’ont beaucoup sensibilisée à l’aspect de la respiration, et plus globalement au corps du pianiste, ce qui a eu un impact énorme sur mon jeu. Les concerts en duo avec Marie-Laure viennent rééquilibrer mon existence de pianiste
soliste et l’enrichir: on ne joue pas le Carnaval de Schumann de la même manière quand on connaît le Liederkreis et Frauenliebe und Leben

Votre premier disque en solo était consacré à Gershwin et Bernstein, composé de transcriptions – toutes de votre main – et de pages originales. Pourquoi ce choix plutôt atypique ?

Pour commencer, l’univers des comédies musicales, c’est mon enfance, car je les connaissais toutes par cœur… Et puis, c’est un héritage de ma classe de direction de chant au CNSMDP : Porgy and Bess était au programme de mon prix. J’avais par ailleurs été émerveillée par Candide pendant mes études. Celles-ci m’avaient aussi donné l’occasion de réaliser beaucoup de réductions d’orchestre et j’étais un peu frustrée d’abandonner tout ce travail. Ce premier disque – enregistré grâce au prix André Boisseaux – me permettait d’y remédier et d’aborder de manière originale le répertoire américain que j’affectionne et que je veux explorer de façon très complète.

Répertoire américain dont une autre grande figure, Philip Glass, apparaîtra d’ailleurs sur votre prochain disque, en compagnie de Ravel et de Camille Pépin. On vous sait très attachée à la musique de cette dernière…

Je connais Camille depuis l’époque du conservatoire et j’ai eu le privilège d’être la pianiste de son CD, Chamber Music (NoMadMusic), paru en 2018 avec, entre autres, la mezzo-soprano Fiona McGown, autre partenaire qui m’est très chère. J’éprouve un grand plaisir à jouer sa musique, c’est une créatrice qui choie vraiment ses interprètes et se montre complètement à leur écoute. Elle pense « orchestral » tout le temps et la recherche de couleurs constitue un aspect essentiel de son écriture, à la fois héritière de la musique française et du minimalisme américain. Pour le disque à paraître chez NoMadMusic en 2021, j’ai gravé Number 1, une pièce inspirée par la peinture de Jackson Pollock et qui viendra s’insérer dans un programme comprenant les Metamorphosis de Glass et les Miroirs de Ravel. J’ai abordé toutes ces compositions comme des musiques de timbres, de couleurs, et imaginé ce disque tel un récital enregistré, avec une organisation
particulière mêlant complètement les œuvres…

Comment avez-vous vécu la période de confinement que nous avons traversée au printemps ?

Me retrouver chez moi, sans échéance à court terme, a été d’abord angoissant et finalement un moment précieux pour préparer l’enregistrement du disque dont je viens de vous parler et qui avait lieu fin mai. Ces deux mois de pause m’ont aussi laissé le temps d’engranger du nouveau répertoire, à commencer par les Variations Goldberg. Je ne pensais pas pouvoir les monter avant des années et je les ai jouées pour la première fois en concert cet été. J’ai aussi fait des recherches du côté des compositrices. J’ai approfondi le cycle des 18 Pièces pour piano d’après la lecture de Dante de Marie Jaëll que j’aurais dû jouer en récital fin mars, et j’ai découvert des pépites signées Rita Strohl et Marguerite Canal, musiques que j’ai bien l’intention de défendre.

Propos recueillis par Alain Cochard