Rescapé d’un accident d’avion, partenaire de Judy Garland au cinéma… le pianiste espagnol crève l’écran dans un superbe coffret chez Sony.
Véritable encyclopédie sur la carrière de celui qui fut non seulement pianiste virtuose et chef d’orchestre mais également star de cinéma, ce luxueux album de 190 pages impressionne par sa qualité éditoriale. La richesse des textes (en anglais), la profusion de splendides photos, de fac-similés et d’affiches de films feraient presque oublier qu’il renferme seize CD réunissant la totalité des gravures d’origine RCA Victor de José Iturbi – dont plusieurs inédits – ainsi que celles de sa sœur Amparo, également talentueuse pianiste. Conçu en collaboration avec la Fondation Iturbi, ce volumineux ouvrage propose en outre un précieux listing chronologique de leurs sessions d’enregistrements de 1933 à 1956, à qui ne manque que les renvois aux différents CD. Nobody’s perfect ! À ce détail près, on s’émerveille de redécouvrir de la sorte un artiste tombé dans l’oubli, sans doute en raison de son goût immodéré pour le mélange des genres.
Clavier et baguette

Crédit photo : The José Iturbi Foundation / SONY
Né à Valence en Espagne en 1895, l’enfant prodige étudie au conservatoire de la ville puis à Barcelone avant d’être admis à 15 ans au Conservatoire de Paris, d’où il sort avec un 1er prix en 1913. Il est également l’élève de Wanda Landowska, grâce à laquelle il conservera un attachement particulier au clavecin. Durant la guerre, il gagne sa vie comme pianiste de bar, puis occupe un poste de professeur au Conservatoire de Genève de 1918 à 1922. Il entame alors une carrière internationale et se fixe aux États-Unis en 1929, quelques mois après le décès de son épouse, morte dans ses bras d’une overdose de médicaments. Il se lance dans la direction d’orchestre dès 1933 et, à peine rescapé d’un accident d’avion, il est nommé directeur du Philharmonique de Rochester (1936-1944), qu’il dirige souvent du clavier. Il sera plus tard à la tête de l’orchestre municipal de Valence puis de celui de Bridgeport.
Les studios d’Hollywood, séduits par cet artiste aux multiples talents, l’engagent pour tourner dans une dizaine de comédies musicales, aux côtés de Judy Garland, Gene Kelly, Frank Sinatra ou Joan Crawford, dans lesquelles il joue le plus souvent son propre rôle. L’immense célébrité qu’il en retire lui vaudra en revanche d’être regardé de travers par le milieu classique traditionnel.

From Hollywood to the World
The Rediscovered recordings by pianist and conductor José Iturbi
Sony Classical (16 CD)
« Iturbi, disturbi »
Cet artiste capricieux, voire provocateur – « Iturbi, disturbi » disait-il de lui non sans humour – se montre aussi brillant que charismatique. Il aborde tous les répertoires avec sensibilité, dynamique et imagination, de Scarlatti au Boggie-Woogie de Morton Gould, en passant par Chopin, Mozart, Stravinsky ou Debussy – dont il offre de précieux Children’s corner – sans même parler des auteurs espagnols (Granados, Albéniz, de Falla) dans lesquels il parle sa langue maternelle. Partout, au clavier comme à la baguette, il révèle une aisance sans affectation, un sens aigu des couleurs et, malgré la matité des prises de son, une infinie variété de toucher. Adulé outre-Atlantique comme l’un des plus grands pianistes de son temps, il verra certains de ses disques franchir la barre du million d’exemplaires vendus, ce qui lui vaudra d’être le premier musicien classique honoré d’une étoile sur le célèbre Walk of Fame d’Hollywood.
Compositeur à ses heures, on lui doit quelques pages aux saveurs hispanisantes, dont Soliloquy est restée la plus célèbre, ainsi qu’un spectaculaire arrangement pour deux pianos de la Rhapsodie in blue de Gershwin. Après une tournée d’adieu en 1977, ce fervent collectionneur de pipes casse la sienne trois ans plus tard à Los Angeles. Il reste une véritable gloire en Espagne, notamment en raison de l’aide qu’il apporta à sa Valence natale lors de l’inondation de 1957 – la ville a d’ailleurs donné son nom au Conservatoire municipal puis à un concours international de piano. Un ouvrage fascinant, à la mesure de l’artiste haut en couleur qu’il ressuscite tant par l’image que par le son.