Révélé par le concours Piano Campus 2019, élève de Claire Désert au CNSMDP, Gaspard Thomas est à 23 ans de plus en plus présent sur les scènes. Un espoir à suivre de près !
Comment êtes-vous venu à la musique, vous souvenez-vous d’un déclic, d’un choc particulier ?
J’ai bénéficié dès le départ d’un contexte favorable avec des parents musiciens amateurs de très bon niveau – une mère altiste et un père pianiste de jazz. Vers six ans, je me suis mis au piano, il n’y a pas eu d’hésitation. Mes premières années de formation se sont déroulées au conservatoire de Poitiers – dans la classe de Martine Ophèle –, puis à celui de Bordeaux – dans la classe de Jean-Philippe Guillo –, tout en menant en parallèle des études générales tout à fait normales, qui se sont poursuivies jusqu’à un bac scientifique. Un déclic ? La masterclasse de Jean-François Heisser sur Albéniz au conservatoire de Poitiers en 2012 – je lui avais joué El Albaicin – a joué un rôle décisif pour la suite dans la mesure où il m’a conseillé de me présenter au CNSMDP. Avant cette étape cruciale, il y a eu un passage par le conservatoire de Saint-Maur-des-Fossés où j’ai travaillé avec Christine Fonlupt. Elle a su me comprendre, m’encourager en me faisant travailler un répertoire qui me convenait et faire en sorte que je sois prêt très en avance pour un concours où la sélection est rude.
Et vous entrez donc à 18 ans au CNSMDP dans la classe de Claire Désert…
Et de Romano Pallottini, son assistant. Un tandem vraiment extraordinaire ! Claire est très généreuse et se comporte avec une grande équité vis-à-vis de tous ses élèves. Elle tire ses étudiants vers le haut, sait les responsabiliser afin qu’ils développent leur autonomie dans le travail – et accueille toujours favorablement le fait que l’on prenne les conseils d’autres professeurs. Elle m’a beaucoup appris sur la manière d’approcher les œuvres, de tout écouter, de soigner chaque détail. Son enseignement s’inscrit dans la durée en insufflant une pensée musicale construite, sans cesse orientée vers la vérité et la simplicité du texte, vers l’essence de la musique.

Crédit photo : Marielle Huneau
BIOGRAPHIE EXPRESS
1997 Naissance à Poitiers
2012 Rencontre avec Jean-François Heisser
et fin des études au CRR de Poitiers
2015 Perfectionnement
au CRR de Saint-Maur-des-Fossés
avec Christine Fonlupt
2016 Entrée au CNSMDP
2019 Campus d’Argent
et 7 prix spéciaux au Concours Piano Campus,
1er prix au Concours France-Amériques,
sélection au Concours Long-Thibaud
2020 Académie d’interprétation
« Jeunes Solistes » dirigée par Bruno Rigutto
aux Lisztomanias de Châteauroux
Où en est exactement votre cursus au CNSMDP ?
Je suis dans ma cinquième et dernière année de piano. Après des mois incroyablement stimulants dans la classe d’harmonie de Fabien Waksman, je travaille actuellement l’orchestration avec Marc-André Dalbavie, un pédagogue qui envisage sa discipline avec la flamme et l’expérience du créateur qu’il est par ailleurs. Je termine enfin ma licence d’accompagnement avec Reiko Hozu, professeure à l’enthousiasme contagieux et animée par un formidable appétit de musique. L’année prochaine, j’envisage de m’inscrire en musique de chambre car, bien que je n’aie pas encore de formation constituée, c’est une discipline que j’affectionne depuis toujours et que je pratique avec des partenaires assez réguliers tels que l’altiste Paul Zientara ou la violoniste et compositrice Élise Bertrand.
Y a-t-il des rencontres ponctuelles avec tel ou tel professeur qui vous ont plus particulièrement marqué ?
Je vous ai déjà parlé de Jean-François Heisser, que j’ai eu l’occasion de retrouver à quelques reprises après notre premier contact à Poitiers, et ce de manière toujours très profitable. En 2015, j’ai rencontré Bernard d’Ascoli, ancien élève de Pierre Barbizet et soliste très renommé en Angleterre : un choc musical avec un pédagogue très axé sur la couleur, les plans sonores, avec une conception artisanale du son. Chaque jour, son enseignement continue de me nourrir. Tout récemment, j’ai travaillé avec Bruno Rigutto dans le cadre de l’académie des Lisztomanias de Châteauroux. C’est toute une tradition du piano français qu’il transmet par ses conseils, mais surtout, dans la lignée de l’immense pianiste qu’était Samson François, Bruno Rigutto est un artiste à l’inspiration sans cesse bouillonnante d’idées, d’images, de sons, de mots, qui sont extrêmement enrichissants.
Quels sont, parmi les grands interprètes, vivants ou du passé, ceux dont l’exemple vous inspire le plus ?
Parmi les pianistes en activité, deux noms me viennent immédiatement à l’esprit : Arcadi Volodos et Nicholas Angelich. L’un de mes tout premiers grands chocs musicaux a été un récital de Volodos à Nohant. Sa manière de jouer avec le temps, de le dilater – dans la Sonate D. 960 de Schubert, par exemple – est tout simplement fabuleuse, sidérante. Quel exemple, quelle source d’inspiration… Quant à Angelich, je suis très admiratif de sa capacité à retailler l’œuvre en direct et, notamment dans Beethoven, de son aptitude à se libérer de la complexité de l’écriture – à ne pas subir le texte – pour donner un sens profond, humain, à cette musique. Parmi les pianistes disparus, il y en aurait beaucoup à mentionner. Je garde un souvenir très ému de la découverte des enregistrements schumanniens de Catherine Collard – vraie merveille que ses Davidsbündlertänze. J’ai beaucoup vibré aussi à l’écoute d’Alfred Cortot et son art unique du rubato. Et puis – je vous ai dit mon amour de la musique de chambre – je me dois de citer Arthur Grumiaux. Le vibrato est certainement un peu daté, mais sa capacité à s’inscrire dans l’harmonie générale de la partition est fascinante, dans les sonates de Mozart avec Haskil, ou le Quintette K 593, par exemple.
Et les concours?
J’ai d’abord remporté des prix dans des concours tels que Vulaines-sur-Seine ou Brest (1er prix). Puis 2019 a été une année importante sur ce plan, avec d’abord un 2e prix et sept prix spéciaux à Piano Campus, à Pontoise. J’ai également été sélectionné pour le concours Long-Thibaud et, même si mon parcours s’est arrêté avant la demi-finale, cela reste une étape très enrichissante. Je réfléchis à me présenter à d’autres concours dès les prochains mois mais, en ce domaine, tout est conditionné par l’évolution d’une crise sanitaire qui perturbe énormément les calendriers.
Quels sont les auteurs les plus chers à votre cœur, ceux que vous avez envie d’approfondir ?
Durant mes deux premières années au Conservatoire de Paris, j’ai principalement abordé Chopin qui occupe une place très importante pour moi en tant que musicien. Depuis l’an dernier, Beethoven m’absorbe particulièrement avec plusieurs sonates de la dernière période, ou encore le 4e Concerto que le confinement du printemps m’a laissé tout le temps d’explorer. Cet été, j’ai joué plusieurs pièces de Liszt, des Études d’exécution transcendante en particulier. J’ai de plus en plus envie d’interpréter ce compositeur, dont l’univers est bien plus intérieur et noble que d’aucuns ne l’imaginent parfois. Il y a peu, j’ai préparé un programme autour des poèmes de Scriabine, autre auteur que j’aimerais beaucoup approfondir.
Et la musique de chambre ?
Elle a été présente dès le début de mon parcours et j’ai exploré un répertoire très varié allant du deux-pianos/percussions au quintette avec vents, même si, depuis quelque temps, c’est plutôt avec des instrumentistes à cordes que je travaille. Je retrouverai Élise Bertrand fin janvier à Gstaad, avant de partager un programme autour de Brahms, Prokofiev et Connesson mi-février à Paris avec Paul Zientara.
Propos recueillis par Alain Cochard