Jeune artiste franco-russo-suisse, il a récemment été remarqué à Paris, salle Cortot. Encore élève du CNSMDP, mais déjà présent sur scène, en duo ou en solo, il est un artiste complet et curieux à suivre de près.
Comment se sont déroulés vos débuts musicaux ?
Je suis né à Paris d’une mère française, historienne du cinéma russe, et d’un père russe, philosophe. J’ai passé mes quatre premières années en France ; j’avais cinq ans quand mes parents se sont installés en Suisse. J’y ai rencontré une professeure russe, qui m’a vraiment initié au piano. Sa méthode, peu ordinaire, consistait à faire travailler une vingtaine de morceaux en même temps, procédé un peu déroutant mais qui offre l’avantage de développer la curiosité et d’éviter que l’élève ne s’ennuie. Elle m’a aussi ouvert à l’improvisation et au jazz. Au bout de trois ans, parallèlement à ma dernière année avec elle, j’ai commencé des études d’orgue, instrument pour lequel j’éprouvais une grande curiosité, au Conservatoire de Lausanne. Je m’y suis bientôt inscrit en piano, et c’est là que j’ai commencé à sérieusement pratiquer la musique de chambre – dont je raffole ! – avec divers camarades.
Vous êtes revenu en France à l’âge de 13 ans, moment de la rencontre avec Billy Eidi au CRR. Une rencontre très marquante, semble-t-il ?
Complètement. Avec lui, le piano a vraiment pris place au cœur de mon existence, ce qui était encore un peu flou jusqu’alors. Sa pédagogie était très suggestive, il donnait assez peu d’exemples pratiques ; pour régler les problèmes techniques il partait toujours d’un constat musical. Cela m’a conduit à adopter une nouvelle manière de m’écouter ; j’ai beaucoup gagné en matière de style – Mozart et Chopin étaient très présents dans ses cours. Il m’a aussi appris à me méfier de mes facilités digitales, d’une tendance à aller un peu trop vite, pour mettre de la discipline dans mon travail.
2018 marque votre entrée au CNSMDP dans la classe de Marie-Josèphe Jude…
J’avoue que je n’imaginais pas, quatre ans plus tôt, en arriver là aussi rapidement ! Billy Eidi m’avait très chaleureusement recommandé Marie-Josèphe Jude. Elle a commencé à reformer ma technique en me faisait travailler des études : Chopin, Ligeti, Scriabine, et beaucoup de Beethoven ; Jonas Vitaud m’a encouragé et inspiré dans la pratique de la sonate avec violoncelle.
Parmi les pianistes disparus ou encore en activité, certains ont-ils exercé une influence particulière sur vous ?

Crédit photo : SDP
BIO EXPRESS
2001 Naissance à Paris
2006 Débute l’étude du piano
2009 Entrée au Conservatoire de Lausanne
2014-2018 Études au CRR de Paris
2018 Entrée au CNSMDP Forme le Duo Ermitage
avec le violoncelliste Paul-Marie Kuzma
2021 Premier Prix à l’unanimité du 15e Concours Albert Roussel
2022 Participation au spectacle « C’est la faute à Werther ! »
du Centre de Musique de Chambre
de Paris/Salle Cortot
ACTUS
✔ 19 juin Récital à Lausanne, Festival Lavaux Classic
✔ 26 juillet Récital à Macon
✔ 1-3 août Festival Musik’Art Cantal
✔ 13 août Bellême – Concert en trio avec Luka et Léo Ispir
✔ Octobre Participation au Lisztomanias de Châteauroux
J’ai énormément écouté Vladimir Horowitz, je suis frappé par la clarté et la franchise avec lesquelles il exprime ses idées : c’est toujours une grande source d’inspiration que d’y revenir. C’est par cet interprète que j’ai découvert Scriabine, compositeur qui m’accom- pagne depuis longtemps et dont le langage, très sugges- tif et mystique, me touche profondément. J’ai beaucoup écouté Vladimir Sofronitsky aussi et, plus près de nous, les Scriabine de Bernd Glemser me séduisent. Dans d’autres répertoires, j’ai eu un coup de cœur assez récemment pour Michelangeli ; la clarté et l’italianité de son jeu sont fascinantes. Mais je n’écoute pas que du piano : après des heures de travail au clavier, je préfère souvent le rock, la musique vocale (j’éprouve depuis l’enfance une passion pour Gesualdo !), la musique de chambre.
À ce propos, comment s’est formé votre duo avec le violoncelliste Paul-Marie Kuzma ?
Le hasard a voulu que nous nous rencontrions en 2018 au CNSMDP. La musique de chambre est très importante pour moi et nous avons eu à cœur de bâtir une vision personnelle des œuvres. Nous travaillons avec le violoncelliste François Salque et la pianiste Claire Désert, mais nous avons profité des conseils de pas mal d’autres professeurs.
Parmi les masterclasses que vous avez pu suivre, quelles ont été les plus marquantes ?
Je garde de beaux souvenirs des rencontres avec Hortense Cartier-Bresson, Michel Béroff ou Akiko Ebi. C’est important de rencontrer des personnalités qui ont une expérience de la scène, des concours internationaux. Il m’est utile aussi de disposer d’un spectre d’avis différents sur mon jeu, ne serait-ce que pour identifier le répertoire qui me convient le mieux.
À propos de répertoire, comment avez-vous évolué au fil des ans et quels sont les auteurs dont vous vous sentez le plus proche, ceux aussi que vous avez envie de « creuser » à plus ou moins long terme ?
Très tôt j’ai ressenti des affinités pour certains compositeurs russes du xxe siècle, Chostakovitch, Prokofiev, que j’adorais travailler. Puis Billy Eidi m’a introduit à la musique française du tournant du siècle, en insistant beaucoup sur la dimension lyrique. Sinon, j’adore Chopin et Scriabine. Reste que l’on attend aujourd’hui d’un pianiste le plus de polyvalence possible ; j’évite donc de trop me restreindre. Mais il y a une période – bouillonnante ! – que j’aimerais explorer : le répertoire russe oublié du xxe siècle, Nikolaï Roslavets, Arthur Lourié, etc. Le canon soviétique s’est vite imposé et cette musique subit tou- jours une forme de censure. En musique de chambre avec Paul-Marie, certaines œuvres ont vraiment joué un rôle-clef dans l’affirmation de notre identité, la Sonate de Poulenc ou celle de Rachmaninov par exemple, deux œuvres au langage imagé et aux accents populaires, mais nous restons très ouverts à tous les aspects de notre répertoire.
Quelques mots pour conclure sur « C’est la faute à Werther ! », le spectacle musical autour du Troisième quatuor avec piano de Brahms, Salle Cortot, grâce auquel beaucoup vous ont découvert…
Ça a été une expérience déroutante au départ, mais vite com- pensée par les liens tissés avec des instrumentistes auxquels je m’associais pour la première fois. Le par cœur en musique de chambre, dans des œuvres aussi denses, apporte une dimension très globale, un recul face au texte qui facilite l’interaction entre les musiciens.