Dans son nouveau disque, il fête à sa manière les 300 ans du Clavier bien tempéré. Il évoque pour nous ses instruments fétiches.
Mon piano d’enfance…
Trois pianos ont marqué mon enfance. Le premier était un clavier électronique d’une seule octave, reçu en cadeau pour mon troisième ou quatrième anniversaire. J’ai découvert la musique avec lui, en reproduisant assez instinctivement les mélodies que j’entendais à la maison. Je ne sais pas ce qu’il est devenu. Sans doute l’avons-nous jeté mais je garde à son égard une affection toute particulière. Mon deuxième piano était un Zeiner, droit, noir comme le bureau de maman. Enfin, lorsque tout est devenu plus sérieux, mes parents m’ont fait le plaisir de louer un Sauter, au toucher assez charnu, très bien pour faire ses armes. Il m’a accompagné jusqu’à mes 15 ans.
Mon piano de travail…

Crédit photo : Green Room Creatives/Jorre Janssens
À 16 ans, j’ai eu le privilège d’aller à Hambourg, afin de choisir un Steinway B. Mes parents voulaient investir : de toute évidence, je n’allais pas devenir boucher ! Ce Steinway est resté mon instrument de travail. La vie a ensuite voulu que j’épouse une pianiste. Nous avons aujourd’hui chez nous, non pas deux mais trois pianos : un Boston, l’instrument d’étude de ma femme, mon Steinway et un vieux Kawai, quart de queue, un peu usé mais auquel je suis très attaché. Mon épouse travaille habituellement sur le Boston et moi sur le Steinway. Il nous arrive cependant régulièrement d’échanger. Chaque piano a sa personnalité.
Mon piano idéal…
Tout est une question de re contre entre l’instrument, le technicien, l’acoustique et le pianiste. À quelques années d’intervalle, j’ai joué deux fois sur un même piano à l’occasion d’un enregistrement. Alors que j’avais tout d’abord gardé un souvenir merveilleux de l’instrument, notre seconde rencontre m’a laissé une impression plus mitigée. Qu’est-ce qui avait changé ? Le piano ? Moi ? Le piano idéal est éphémère ! Avec l’émergence aujourd’hui de nouvelles marques, l’univers pianistique est devenu un immense espace de jeu ouvert à l’expérimentation. En février, j’interpréterai à Berlin des extraits du programme de mon nouveau disque sur différents pianos. J’ai hâte de voir ce qu’il se passe !
Le piano pour jouer Bach
Jouer Bach sur un instrument non historique est une affaire de funambule. Les pianos modernes nous ancrent dans le XIXe siècle et son bel canto. Pour croiser divers styles et époques, il me fallait trouver un instrument plus neutre. Ce piano hybride combine la puissance d’un instrument récent avec la facture très Ancien Régime des pianoforte, aux cordes parallèles. Il épouse la situation dans laquelle se trouvent les musiciens de ma génération : redevables au mouvement historiquement informé, nous le sommes aussi à la lecture plus romantique de Bach léguée par Fischer ou Gould. Le piano Chris Maene me semble donc très pertinent, d’un point de vue autant symbolique que pratique.
Propos recueillis par Sophie Perrin-Ravier