La virtuosité presque surnaturelle d’Horowitz continue à fasciner ses auditeurs. À défaut de l’égaler, nous pouvons nous en inspirer pour progresser dans notre jeu. Notre professeur nous explique comment.

Une image nous vient immédiatement lorsque nous pensons à Vladimir Horowitz : l’agilité et la rapidité de ses doigts, sa virtuosité phénoménale. Quel pianiste n’a pas, au moins une fois, visionné sur YouTube des vidéos d’Horowitz pour tenter de comprendre comment il fait, d’où vient sa rapidité ? Ses doigts semblent littéralement galoper le long du clavier comme des pur-sang sauvages.

Voyez plutôt son enregistrement de Soirées de Vienne, Valse-Caprice n° 6 de Lizst au Musikverein de Vienne 1: dans le deuxième thème de valse ornementé, la précision et le perlé de son jeu sont sidérants. De plus, dans cette pièce très rapide et difficile, la main doit se partager en deux pour jouer la partie d’alto, les doigts se chevauchent comme dans l’Étude op. 10 n° 2 de Chopin. Alors, d’où vient cette agilité diabolique d’Horowitz et, de manière plus générale, chez nous tous, pauvres mortels, la virtuosité et l’agilité des doigts ?

Quelle position de main ?

Tout d’abord, chacun peut constater dans cette vidéo qu’Horowitz a une position de main totalement anti- académique : il relève les doigts à l’horizontale, droits et tendus comme des baguettes chinoises, il joue très à plat sur la pulpe des doigts. Bref, tout à l’inverse de ce que préconisent les professeurs de piano, tel Czerny qui recommandait jadis d’« arrondir les doigts ».

Crédit illustration : Éric Héliot

Le bon Czerny devrait aller sur YouTube, mais il se retournerait dans sa tombe : il constaterait que, nonobstant cette position, la technique de Volodia est phénoménale. C’est donc ailleurs que dans le visible qu’il faut la chercher.

Impossible ici de ne pas évoquer cet aphorisme de Liszt, disant à son élève Valérie Boissier : « La technique vient de l’esprit, non de la mécanique. » Cherchons donc la clé de la technique d’Horowitz : d’abord du côté de sa volonté musicale, de sa représentation auditive et mentale. Seulement ensuite, il sera légitime de s’interroger sur la façon mécanique dont il obtient ce résultat (« mécanique » : le mot est de Chopin).

À cet égard, je me souviens de la réflexion d’un pianiste de mes amis, très virtuose, et qui me dit un jour en riant à propos d’un élève : « Z se plaint que ses doigts ne marchent pas vite. Mais c’est normal : à ses doigts, il ne leur demande rien … ! » Cette boutade cache une vérité essentielle : pour que nos doigts galopent sur le clavier, il faut d’abord que notre pensée musicale, notre cerveau, leur demandent des choses très précises : à quelle vitesse jouer tel passage, avec quelle intensité jouer les notes, comment dessiner la phrase…

L’influx nerveux

La rapidité d’exécution des doigts et leur agilité passent à travers ce que les neurophysiologistes nomment l’influx nerveux. Le cerveau envoie des informations de vitesse, de nuance, d’intensité, et celles-ci se transmettent jusqu’au bout de nos doigts à travers ces substances chimiques que l’on nomme des neurotransmetteurs2. Mais, après ce préambule, n’allons pas plus loin dans la pédanterie médicale…

La maîtrise du rythme

Sur ce plan de l’énergie envoyée jusqu’au bout des doigts, le respect d’un rythme parfait est essentiel. L’agilité de nos doigts procède d’abord de la maîtrise que nous avons sur la vitesse du déroulement musical.

On obtient ce contrôle en sélectionnant par l’oreille les sons qui tombent sur chaque pulsation. À l’écoute, on fait la différence entre ces sons des temps et les autres sons (ceux qui se trouvent entre les temps). On les identifie, on les saisit au passage, puis on s’efforce de les faire défiler à une vitesse constante, parfaitement régulière. C’est ce que l’on appelle « avoir un tempo ». Ce contrôle auditif des notes des temps est crucial pour développer la mobilité des doigts. Au passage, soulignons qu’il faut contrôler tout autant les pulsations sur les temps faibles de la mesure que sur les temps forts. Le grand pianiste Dinu Lipatti insistait sur
ce point : « S’appesantir et souligner le temps fort est l’une des plus graves erreurs en musique. »

Le contrôle de l’intensité

Cet influx nerveux concerne aussi, bien sûr, les intensités du son. Liszt disait à son élève Valérie Boissier : « Vous voyez bien que pour exprimer ce que l’on sent, il faut avoir les doigts tellement développés, si souples, avec une telle échelle de nuances toutes prêtes en eux, que le cœur puisse s’émouvoir et cheminer sans que les doigts soient un obstacle. »