Tous les pianistes cherchent à avoir des doigts agiles et qui bougent vite. On disait d’Horowitz que les siens galopaient comme des pur-sang sur le clavier. La rapidité d’un virtuose fascine et nous sommes prêts à tout pour acquérir semblable agilité. Voici quelques conseils et exercices pour s’y entraîner.
Autrefois, on proposait aux pianistes des exercices torturants pour développer ces fameux doigts, voire d’utiliser des machines aussi barbares que le chiroplaste de Logier, ou le guide-mains que méprisait Chopin. Liszt, de son côté, disait qu’il fallait faire des exercices tout en s’occupant à autre chose. Quant à Brigitte Engerer, du temps de ses études, elle avait l’habitude de lire tout en faisant les exercices qu’on lui imposait. Mais, même si elle s’était dispensée de ces entraînements sans âme, il est certain qu’elle serait devenue la grande pianiste virtuose que l’on sait.
Des muscles ?
La raison de tous ces travers est que, autrefois, on pensait que pour être bon pianiste, il fallait surtout développer les muscles de ses doigts, devenir un athlète de la main.Nous proposons un abord radicalement différent : on peut concevoir que l’agilité des doigts ne provient pas de muscles surdéveloppés (bodybuildés !) mais plutôt de la suppression de tout ce qui peut entraver leur agilité et leur vivacité naturelles. Car les doigts, s’ils sont souples et libres, sont doués d’une mobilité spontanée, guidée par notre intelligence.
Aristote disait : « Ce n’est pas parce qu’il a des mains que l’homme est le plus intelligent des êtres, mais parce qu’il est le plus intelligent des êtres qu’il a des mains. »Donc nos doigts sont naturellement agiles, puisque nous sommes intelligents (en principe…) S’ils sont maladroits et lents, c’est qu’ils sont entravés par des tensions inutiles.
Pour commencer
λ Écartez au maximum l’extrémité de vos doigts, comme s’ils se déployaient en éventail. La distance entre l’extrémité de votre pouce et celle de votre petit doigt doit être maximale. ⇐ photo n° 1
λ Maintenant, tout en conservant cette position de main très ouverte, bougez vos doigts le plus vite et le plus fort possible. Que constatez-vous ? D’abord, il est impossible de bouger très vite, nos mouvements sont laborieux. Les muscles « tirent » ! Si vous répétez ce mouvement, il est même probable que vous sentirez rapidement vos muscles situés sous vos avant-bras se fatiguer. Les sportifs qui pratiquent l’escalade et se hissent le long des parois et s’accrochant avec le bout des doigts, connaissent bien cette fatigue musculaire, ils la nomment : « avoir la bouteille ».
λ Maintenant faites l’expérience inverse : laissez votre main et vos doigts dans l’état de relaxation le plus absolu. Rapprochez les bouts de vos doigts et supprimez toute espèce de tension. Imaginez la main d’une personne qui dort : ses doigts ne sont ni écartés ni serrés les uns contre les autres ; ils sont seulement relaxés et à leur place naturelle, disponibles pour le mouvement. C’est ainsi qu’il faut tenir la main au piano. ⇐ photo nos 2, 3 et 4
λ Maintenant, bougez l’extrémité de vos doigts le plus vite possible. Vous constaterez qu’il est facile de leur imprimer une vibration ultra rapide, et sans la moindre fatigue. Notre main se sent bien, agile, réactive…
Tirons de cela des conclusions techniques : plus la main est ramassée, plus nos doigts peuvent bouger vite. En d’autres termes, il faut compacter la main pour que nos doigts soient agiles. À l’inverse, plus ils sont éloignés les uns des autres, plus nos muscles se fatiguent.
Des petites mains qui « boulottent »
C’est justement en vue d’apprendre aux élèves à ramasser la main que Chopin a composé son Étude op. 10, n° 1 en ut majeur. Selon l’écriture de cette étude, la main passe très rapidement d’une position écartée (l’arpège) à une position ultra ramassée, do-mi, avec le pouce qui joue juste à côté du petit doigt, un intervalle de tierce. ⇐ photo n° 5
Dans cette étude, si nous avons une grande main, nous avons tendance à vouloir écarter les doigts pour assurer nos déplacements. ⇐ photo n° 6
Au contraire, un pianiste pourvu de petites mains cherchera spontanément à la compacter et c’est pourquoi elle se fatiguera moins. Nombreuses sont les pianistes qui eurent de petites mains (Alicia de Larrocha, Maria João Pires, ou Blanche Selva à qui Ravel disait : « J’aime voir boulotter tes petites mains »)
Ne cherchez pas à garder la main écartée pour assurer vos déplacements ; jouez plutôt comme montré ci-contre : ramassez votre main au-dessus de chaque note en relaxant vos autres doigts.
Conclusion pour le choix des doigtés : lorsque vous apprenez de nouveaux morceaux, choisissez des doigtés qui compactent la main, lui évitent au maximum d’être écartée. Cherchez. Expérimentez. ⇐ photos nos 7 et 8
Surveillez attentivement vos articulations
Ensuite, c’est en pensant musicalement, notamment à l’articulation – c’est-à-dire au degré exact de tenues ou de « détaché » des notes – que vous amènerez votre main à se compacter. Dans toute recherche technique, commencez par la cause du mouvement, de la position ou du geste : elle doit être musicale. Ici, évitez de tenir trop longtemps et de coller vos notes extrêmes (extérieures) des deux mains : les petits doigts ou les pouces (sauf, bien entendu, si le compositeur a indiqué qu’il faut les tenir par une blanche !)
λ Ôtez-les rapidement car cela compactera votre main et la relaxera. En effet, si on « colle » les notes extérieures dans la main, cela la maintient écartée. Avec un petit doigt ou un pouce écartés de la main, la tension musculaire vient très vite. Donc, soyez attentifs à ne jamais coller vos basses inutilement.
Exemple : si à la main gauche, vous avez une série de quatre doubles croches qui montent rapidement (cela est difficile pour la mobilité !), il faut une main agile. Ne laissez pas traîner la note la plus grave. Pensez-la avec un point de détaché, car c’est une note brève : une double croche, pas davantage. Ôtez vite votre 5e doigt et repliez-le pour compacter votre main. Quand on joue des traits agiles de Mozart, cela est flagrant. Écoutez tous les grands interprètes du compositeur autrichien. Leurs basses sont brèves, de même les « sommets d’aigu ». Regardez jouer Barenboim sur YouTube : sa main est toujours compactée. De manière générale, ramenez vos 5e, 4e et 3e doigts vers la paume, et votre main sera beaucoup plus agile.
Voici une illustration à travers le Concerto italien de Bach : le Cantor était évidemment un grand virtuose. Or, dans le Concerto italien, son écriture elle-même nous indique cette technique pour les doigts. Voyez que sur chaque 1er temps, il a indiqué des points de détaché sur les basses, et plus loin, sur le pouce de la m. droite. C’est à l’évidence pour compacter notre main et donc la rendre agile. Tout va ensemble : la mobilité de la main et ce que l’on cherche entendre, ne l’oubliez jamais !







