Quelles sont les principales caractéristiques de l’enchanteresse musique du divin Wolfgang et comment l’interpréter avec justesse et expressivité ? Suivez le guide !
Tous les vrais pianistes le savent : jouer du Mozart est le grand révélateur de notre maîtrise du piano et de la musique. On dit parfois qu’il n’est pas difficile de jouer telle pièce de ce grand génie. Mais ne nous y trompons pas : rien n’est plus difficile que de jouer Mozart car, dans sa musique, on est « tout nu » ! On voit tout, on entend tout. La moindre fausse note, la plus petite imperfection dans l’interprétation, et tout est perdu. Voici donc quelques pistes pour nous guider dans l’exécution des pièces pour piano de Mozart.
Le chant
Tout d’abord, la musique de Mozart raconte une histoire. Elle parle au cœur de tous les hommes et femmes sur cette terre. Il nous faut donc apprendre nous-mêmes à « parler Mozart ». Comment faire ?
D’abord, en chantant la phrase, en examinant où elle débute et où elle finit. Léopold, le père de Wolfgang, écrivait : « Le chant a toujours été le modèle de tout instrumentiste. »1
✔ Il faut donc chanter chaque thème de Mozart avant de poser nos doigts sur les touches. Bien sûr, cela demande un grand effort ! Mais chanter est la seule porte pour pénétrer au cœur de la pierre précieuse.
Le phrasé
Les phrasés sont ces courbes dessinées au-dessus des notes et qui les relient entre elles comme en un même souffle. Lorsque nous parlons, nous séparons les mots et les phrases par une césure plus ou moins longue. Il en est de même pour la musique : il faut respirer entre chaque phrase. Pour faire entendre ces petits blancs de son, on doit quitter la touche une fraction de seconde en soulevant un peu la main ou le bras du clavier. Or, c’est ici qu’intervient la particularité technique et musicale de la musique de Mozart. Car «Wolfi» n’est pas seulement un homme, il est aussi un peu un ange : il vient du ciel et retourne au ciel. Il est constamment léger, aérien, c‘est pourquoi il multiplie les mini-phrasés qui s’étendent sur très peu de notes.

Le pianiste doit effectuer une multitude de petites coupures, et soulever sans cesse sa main ou son bras. Hélas, ce n’est pas facile car notre bras est lourd devant nous : il faut lutter contre la pesanteur terrestre ! Cette légèreté est décrite par Mozart lui-même.
Dans une lettre, il affirme à propos de Nannette Stein : « Elle ne fera jamais aucun progrès avec cette méthode, elle n’acquerra jamais la vélocité car elle fait tout ce qu’il faut pour alourdir ses mains. »2
➜ Dans le passage ci-contre de la Sonate K. 331, soulevez votre bras partout où vous voyez des pointillés.
Le « deux-en-deux »
Très souvent, Mozart groupe les notes par deux au moyen d’une liaison. Leopold, le père de Wolfgang, donne cette règle : « Si, dans une composition, deux notes sont liées par un demi-cercle, elles doivent être jouées d’un même mouvement. On accentuera nettement la première et on jouera l’autre dans un mouvement uni et plus posé. »1
L’aspect vocal
Mozart était un passionné de la voix et de l’opéra. Donc, ne jouez jamais deux notes successives d’une phrase de Mozart avec le même son ni avec la même intensité. Dessinez vos phrases avec amour et inspiration. C’est cela qui développera l’agilité de vos doigts !
L’articulation musicale : lié ou détaché ? Jouer perlé…
Dans L’Art de jouer Mozart au piano, Paul Badura-Skoda indique : « Du temps de Mozart, l’absence de signe d’articulation voulait dire : non legato. C’est une connaissance essentielle pour tout interprète de Mozart. Il exige souvent le legato dans les passages mélodiques, c’est exact, mais il demande presque toujours que les traits de virtuosité soient joués non-legato. »3
✔ Jouer les traits non legato permet d’alléger la main et le bras. Quant au jeu perlé, il signifie que l’auditeur doit entendre chaque note. Il ne doit en manquer aucune ! Cette précision et cette fluidité se développent lorsqu’on soigne tout le reste : la courbe sonore de la phrase musicale, la stabilité du rythme.
Dans les « traits » : deux plans sonores dans la même main
Voici un conseil important techniquement. Très souvent, Mozart écrit des traits en marches d’escalier.
➜ Dans des gammes très rapides, il suggère deux voix dans la même main : une voix assez intense et une voix plus atténuée, comme ici dans la Sonate K. 333… ce que, techniquement parlant, il faut jouer ainsi : pensez la montée en escalier par deux notes. Versez le poids sur la voix la plus aigüe en raffermissant les doigts extérieurs de la main (5e, 4e, 5e, etc.). En même temps, relaxez les doigts de la partie basse pour l’alléger. Cette particularité des traits mozartiens apprend à assouplir la main et à économiser l’énergie. Elle développe l’indépendance des doigts.
Les harmonies
Mozart organise les thèmes et des tonalités de façon très logique. Il suffit de mettre en lumière cette architecture, de chanter avec cœur, et il ne sera nul besoin de rajouter un quelconque pathos ou des sentiments excessifs comme le font souvent les débutants.
✔ Pour la technique et le naturel du discours musical, demandez-vous toujours : où la musique avance-t-elle ? Où arrive-t-elle à un soulagement, à un aboutissement ? Une dominante interrogative ne se joue pas physiquement comme une tonique finale. Apprenez à votre corps à respirer avec l’harmonie contenue dans la musique de Mozart, c’est une condition essentielle pour parvenir à la vitesse et à l’aisance.

Alfred Einstein, frère du savant Albert Einstein, écrivait : « Toute modulation se trouve, chez Mozart, étroitement liée au ton fondamental. »4 Cherchez ce fil conducteur. Si vous comprenez la partition, vous serez plus sûr(e) de vous en jouant, y compris techniquement.
Les appoggiatures
Mozart a un tic d’écriture : il multiplie les appoggiatures, les notes étrangères à l’accord et qui créent une dissonance. Paul Badura- Skoda l’évoque ainsi : « La résolution doit être chantée ou jouée plus doucement que la dissonance, laquelle doit être légèrement forcée. »3
➜ Prenez les appoggiatures en pesant de haut en bas – même s’il s’agit d’une touche noire du clavier ! Il n’est pas naturel de peser dans une touche noire (haute) en redescendant la main, ni de diminuer en remontant la main sur une touche blanche (basse). Sentez cet inconfort dont le clavier est le grand coupable.

Les silences
Coupez très précisément les silences dans la musique de Mozart. Si vous avez un silence à une main – par exemple à la m. gauche –, n’abandonnez pas celle-ci.
➜ Écoutez le son de la main droite qui correspond exactement au moment où vous devez couper la gauche. En procédant ainsi, vous connectez vos mains entre elles, et c’est la condition pour ne pas perdre physiquement la pulsation.
Les nuances et le caractère de l’œuvre chez Mozart
Le plus grave défaut quand on joue du Mozart serait d’en faire trop. On demanda à Daniel Barenboim quelles étaient les choses à ne pas faire dans Mozart. Il répondit : « Exagérer et souligner… Mozart peint plutôt en noir et blanc sur le plan dynamique. Lorsqu’une phrase commence piano, elle reste ensuite plus ou moins piano, même si un immense mouvement expressif survient au milieu. La question que je dois me poser est la suivante : quelle est la raison musicale de cette nuance ? Et comment aborder cette phrase sans, d’une part conduire à un gros forte à la Tchaïkovski, et d’autre part, sans la rendre inexpressive ? La perception actuelle de Mozart se situe entre ces deux pôles – la voie est très étroite, très petite. »5
On n’a jamais fini d’étudier Mozart dans une vie de pianiste. Il est peut être le compositeur le plus difficile à jouer car il est le plus profond, le plus précis, le plus pudique, le plus spontanément génial.
1. Leopold Mozart, Versuch Einer Gründlichen Violinschule, Augsburg, 1756
2. Lettre de Mozart à son père, Augsbourg, 23-24 octobre 1777, in : W.A. Mozart. Correspondance, Flammarion, 1987
3. Paul & Eva Badura-Skoda, L’Art de jouer Mozart au piano, Buchet-Chastel, 1974
4. Alfred Einstein, Mozart, l’homme et l’œuvre, Gallimard, 1991
5. Daniel Barenboim, La Musique éveille le temps, Fayard, 2008