C’est sous l’égide d’un grand maître du piano, Frédéric Chopin, que notre professeur vous délivre les sept préceptes capitaux pour utiliser vos doigts et gagner en aisance dans votre jeu.

Chopin écrivit : « Le tout, c’est de savoir bien doigter. » Cet aphorisme proféré par l’un des plus merveilleux pianistes qui aient existé mérite d’être commenté. Car si le Maître employait cette formule auprès de ses élèves, il leur expliquait aussi quels sont les principes d’un bon doigté. En outre, il donnait mille conseils d’interprétation et de technique. Donc, utiliser un bon doigté ne suffit évidemment pas pour bien jouer. En revanche, afin d’avoir une bonne technique pour aller vite, jouer de mémoire et avec expression, il est en effet essentiel d’utiliser un bon doigté. Bref, pour employer la formule d’usage en mathématiques, nous dirions que bien doigter est « une condition nécessaire mais non suffisante ». Je propose de retenir ici sept principes essentiels pour doigter :

1° Mettez de préférence les doigts longs (2e, 3e, 4e doigts) sur les touches noires et les doigts courts (pouce et 5e doigt) sur les touches blanches. Nous citons souvent cette phrase de Chopin : « On ne peut assez admirer le génie qui a présidé à la construction du clavier, si bien en rapport avec la conformation de la main. Y a-t-il quelque chose de plus ingénieux que les touches hautes, destinées aux doigts longs, et servant si admirablement de point d’appui ? » Cette constatation constitue un premier principe qui doit vous guider pour choisir vos doigtés : lorsque vous avez à passer le pouce, glissez-le de préférence sur une touche blanche après une touche noire. Cela est beaucoup plus confortable pour la main, plus naturel. C’est pourquoi les gammes comprenant beaucoup de dièses ou de bémols, si elles sont, en effet, plus difficiles à penser du point de vue du solfège, sont aussi plus faciles à exécuter physiquement car la main s’y sent mieux placée. Tel est le dilemme à résoudre pour enseigner aux débutants !

2° Un doigté doit permettre à la main de préparer la suite.
Un bon doigté permet d’anticiper la position suivante. Par exemple, si la courbe musicale doit aller vers l’aigu, on ne mettra pas le même doigté que si elle doit descendre : il faut garder des doigts pour monter. Un bon musicien anticipe toujours ce qu’il va jouer, en l’entendant dans son oreille intérieure un instant à l’avance, et en le préparant avec le geste. Considérez le mouvement du chef d’orchestre : son bras arrive en bas (« au fond du temps ») un quart de seconde avant que l’on entende le son produit par l’orchestre. De même, le doigté doit permettre à la main d’anticiper. Si vous vous trompez toujours au même endroit, c’est peut-être que vous avez utilisé un doigté qui ne prépare pas assez votre main pour la suite. Dans la vitesse du jeu, on n’a pas le temps de réfléchir, il faut des réflexes immédiats ! Dans ce cas, changez votre doigté et la difficulté sera résolue.

Ex. 1 : ici, mettez le 4e doigt sur le sol# à la main gauche car il prépare la main à descendre pour jouer les basses suivantes. Sans cette anticipation par le doigté, vous serez toujours gêné(e) à cet endroit.

Je conseille de faire spécialement attention aux doigtés de la main gauche car on les néglige plus facilement !

3° Un bon doigté doit laisser la main aussi ramassée et compacte que possible.
Plus les doigts sont écartés en éventail, plus les muscles situés sous l’avant-bras se fatiguent. Je me souviens d’avoir jadis apporté une difficile étude de Liszt, la Leggierezza, à Pierre Sancan. Il me dit d’aimables choses, puis me demanda : « Es-tu gêné quelque part ? » Penaud, je lui montrai alors le passage en tierces très rapides et lui répondit : « Euh, ben… un peu ici… » Il enchaîna : « Quel doigté ton professeur t’a-t-il indiqué ? » Je lui montrai. Hélas, on m’avait conseillé un doigté utilisant les 5e et 3e doigts sur les tierces, ce qui avait tendance à maintenir le pouce écarté : j’avais la main en patte de canard ! Il me répondit, goguenard : « Tu peux travailler comme cela pendant dix ans, cela n’ira pas mieux ! Il faut mettre un doigté qui ferme la main. » Et de m’indiquer le doigté avec le pouce et le 5e doigt sur les tierces, ce qui maintient la main très compacte, puisque le pouce et le 5e sont tout proches ; la main est alors relaxée et peut aller très vite. Bref, alors que j’avais peiné désespérément sur ce passage, avec le nouveau doigté, comme par magie, l’affaire fut résolue au bout de deux jours… ! Je maudis mon professeur habituel, je bénis Pierre Sancan, et je n’ai plus jamais oublié ce principe de doigté.

Ex. 2 : prenez un doigté qui vous ferme la main et rapproche les doigts !

4° Le choix d’un doigté a une influence sur l’expression musicale.
Là encore, on trouve l’enseignement de Chopin, qui professait l’individualité de chaque doigt. Il eut ce mot : « Le quatrième doigt est un grand chanteur. » Yves Nat, lui, déclarait : « Dis-moi quel est ton doigté, et je te dirai quelle est ta conception de l’œuvre. » Aimez chaque
doigt pour ce qu’il est, ne cherchez pas à ce qu’ils soient tous égaux. 5° Pensez au doigt qui joue les notes centrales d’un accompagnement, notamment dans les Nocturnes de Chopin. Ce peut être le 2e doigt ou le 3e doigt. La note centrale agit comme un pivot qui permet de tourner autour et de sentir la souplesse latérale du poignet. Samson François attachait beaucoup d’importance au 2e doigt. En vérité ce qui importe n’est pas seulement le 2e doigt, mais aussi la ligne musicale centrale, qui est souvent jouée par le 2e doigt.

Ex. 3 : ici, servez-vous de la ligne fafafa comme d’un axe autour duquel déplacer votre poignet de côté, vers le grave ou l’aigu (sans le lever). Le doigt central est ici le 3e doigt. Une autre ligne musicale est jouée par le 2e doigt (siLa…) Apprenez-la bien et sentez ce doigt.

6° Passer un doigt par-dessus le 5e.
Liszt employait souvent un doigté qui fait passer la main par-dessus le 5e doigt. Geste diablement romantique, au piano! Dans son Sospiro (mes. 49 et suivantes), il est impossible d’exécuter les arpèges rapides qui font des allers et retours sans passer à la m. gauche le 3e doigt par-dessus le 5e. Mais on ne peut faire se chevaucher ainsi les doigts qu’à condition de ne pas trop relever le poignet car, sinon, on perd le contact du gras du doigt avec les touches. Le meilleur exemple de cette difficulté est la redoutable 2e Étude de l’Opus 10 de Chopin, en la mineur.

7° Jouer du piano est une sorte de dressage de nos réflexes.
Si vous voulez jouer vite, il faut – à chaque fois que vous jouez le même passage – mettre le doigté adéquat et ne pas changer votre doigté au gré des vents. Dans une fugue de Bach par exemple, il est impossible de jouer de mémoire si l’on change le doigté. Trouvez votre bon doigté, réfléchissez-y beaucoup (Sancan disait toujours : « Faites des expériences… ») et, une fois que vous avez trouvé le bon, celui qui donne aisance et bonne expression, alors ne le changez plus ! On dit qu’il faut « du doigté » pour annoncer des nouvelles délicates à ses proches, à sa famille, à ses collaborateurs… ! N’est-ce pas une image parlante ? Choisissez bien vos doigtés au piano, et vous jouerez avec davantage d’aisance et de sûreté.