C’est décidé, votre enfant se met au piano à la rentrée. Pour l’aider au mieux, voici quelques pistes pour entretenir sa motivation et bien le suivre dans son apprentissage.

Lorsque l’on demandait à Alfred Brendel quels conseils il donnerait pour aider un enfant à commencer le piano, il répondait : « En ce qui concerne la formation des débutants, j’avoue ma totale incompétence. » Et pourtant, Brendel était un grand pianiste. En vérité, guider des petits enfants à leurs débuts est une opération délicate et qui demande beaucoup d’expérience. En effet, combien d’entre eux ont été dégoûtés à vie de ce bel art du piano, martyrisés par des soi-disant « maîtres », plus intransigeants que bienveillants ?

Parmi les professeurs, combien de grincheux bardés de principes rigides et  sévères, à travers lesquels ils expriment surtout leur incompétence, leur frustration en tant que pianistes, au point d’en devenir sadiques avec leurs élèves ? Cela est plus courant qu’on ne le pense… Bref, bien de ces souffrances seraient épargnées si les choses étaient abordées avec un peu plus de bienveillance. Voici quelques pistes mesurées à l’aune du bon sens, et qui semblent avoir fait leurs preuves pour débuter au piano…

1° Développez en votre enfant l’écoute et l’amour de la musique
La première chose, c’est le désir… Désir de croquer une pomme, un gâteau, désir de pratiquer un sport ou un art. Pour faire du piano, il faut d’abord avoir faim de musique. Si vous voulez que votre enfant joue du clavier, la première chose à faire, c’est de lui insuffler la magie de la musique. Faites-lui écouter mille beaux morceaux dans plein de styles différents. Donnez-lui envie d’être à la place de cet échalas habillé de noir ou de cette dame tout étincelante dans sa robe et que l’on applaudit à tout rompre. Formez son oreille, initiez-le à l’émerveillement.

2° Encouragez-le dès que possible
Jouer du piano n’est pas facile, et cela demande parfois de grands efforts. « Un artiste n’est rien sans le don, mais le don n’est rien sans le travail »2, il ne faut jamais l’oublier. Pour ce faire, l’enfant doit puiser l’énergie dans sa propre envie de jouer. Rappelons également ce mot de Rainer Maria Rilke à Franz Kappus, qui débutait dans l’art de la poésie : « Les œuvres d’art sont d’une infinie solitude […]. Seul l’amour peut les saisir […]. »3 Suscitez donc l’amour du débutant pour le piano.

Mais souvenez-vous : c’est bien l’enfant qui doit éprouver cette envie de jouer, et non pas vous, son père ou sa mère ! Peut-être pensez-vous : « Ah ! si j’avais su, quand j’étais jeune… » Ne vous culpabilisez pas. Si vous n’avez pas persévéré jadis, c’est forcément à cause du grincheux susnommé. D’ailleurs, il n’est jamais trop tard pour débuter… ou re-débuter (sauf si vous voulez égaler Arcadi Volodos). Donc, si vous en avez envie, mettez-vous au piano, mais de grâce, ne forcez pas votre enfant s’il n’en exprime pas lui-même le désir. Tout votre petit monde évitera ainsi bien des souffrances.

3° Aidez-le à construire l’aisance sur l’aisance
Cette énergie d’apprendre à jouer, le petit débutant ne pourra la trouver qu’à travers la confiance qu’il éprouvera envers lui-même. Évitez donc à tout prix de trop le critiquer. Au contraire, encouragez-le dès qu’il réussit à jouer musicalement quelques mélodies. Ne lui désignez pas sans cesse le sommet de la montagne, montrez-lui plutôt ce qu’il a déjà gravi. Le grand pédagogue Heinrich Neuhaus écrivait dans L’Art du piano : « Il faut construire l’aisance sur l’aisance. » Idée tout simplement géniale !

4° Développez son oreille musicale en même temps que sa technique4
La technique du piano vient tout autant de l’oreille musicale que de la connaissance de l’instrument, du toucher et des gestes qui permettent de jouer ce que l’oreille imagine. Neuhaus indiquait encore : « L’interprétation se compose grosso modo de trois éléments : la musique, le pianiste et l’instrument. Pour initier un petit (ou un grand) qui fait ses premiers pas au piano, je conseille de développer tout ensemble : le solfège, l’oreille musicale et la technique sur le même morceau, et surtout sur une pièce qui plaît à l’enfant. »

5° Apprenez-lui d’abord à imaginer la phrase musicale en la chantant
Frédéric Chopin n’a jamais eu d’élèves débutants, mais il a tout de même commencé à élaborer une méthode de piano5. Il n’a pas pu l’achever et a laissé ce soin posthume à un de ses élèves, Thomas Tellefsen6. Les principes de Chopin sont connus grâce à l’ouvrage de Jean-Jacques Eigeldinger7. Le compositeur et pédagogue conseillait avant tout : « Il vous faut chanter si vous voulez savoir jouer du piano. » Faites chanter au pianiste en herbe chaque phrase avant qu’il ne l’interprète afin que sa petite pièce vive en lui avant même qu’il ne bouge les doigts. Au conservatoire de Moscou, Neuhaus expliquait : « Tout le secret du talent ou du génie consiste à faire vivre pleinement la musique dans le cerveau avant que le doigt ne se pose sur la touche. »8

6° Demandez au débutant de nuancer tout ce qu’il joue
Chopin tentait d’imiter au piano l’art vocal des chanteurs. Il insistait sur la déclamation de la phrase musicale et répétait sans cesse : « Il faut chanter avec les doigts. » Dès le début, exigez du petit qu’il interprète chaque phrase musicalement car c’est vraiment ainsi que l’on développe la mobilité des doigts. Rien ne sert de jouer, même une seule note, de façon mécanique et sans nuances. Mozart louait Mlle Rose Cannabich (13 ans) : « Elle a beaucoup de goût et joue avec beaucoup de sentiment. »9 Si on ne nuance pas la phrase musicale, on ne développe jamais l’agilité des doigts. Gardez toujours cela à l’esprit, dès le début et tout au long de vos études de piano.

7° Faites sentir l’émotion qui est contenue à travers les notes
C’est en cela que je pense qu’il est très utile de mettre des paroles sur les premières mélodies. L’enfant chantera beaucoup plus facilement, et phrasera naturellement si les morceaux qu’il joue lui racontent des histoires ou évoquent des images de sa vie de tous les jours. Tout cet ensemble, c’est ce que Neuhaus nommait « l’image esthétique de l’œuvre musicale »10.

8° Faites sentir comme la main se positionne bien sur les touches
Une autre base de l’enseignement de Chopin était de montrer combien la main est adaptée au clavier. Il s’émerveillait de trouver confortable de placer les doigts longs (2e, 3e et 4e) sur les touches noires, et les doigts courts (pouce et 5e) sur les touches blanches. En effet, le clavier comporte deux niveaux : celui des touches noires, en hauteur, et celui des touches blanches, plus basses et plus proches de nous. Rien n’est donc plus naturel que d’user des touches noires comme points d’appui pour les doigts longs, tandis que les courts se placent aisément sur les blanches. Cela donne de la stabilité à la main et réduit les mouvements de « tiroir » (pousser-tirer la main devant soi), inutiles et chronophages.

Chopin ne faisait pas débuter les gammes par celle de do, mais par celles de si majeur et de ré bémol, avec beaucoup de touches noires. Cela pose un problème de taille car si, physiquement, pour la main, il est confortable de commencer le piano avec des morceaux comprenant beaucoup de touches noires… hélas, en ce qui concerne le solfège, de telles tonalités sont bien compliquées pour un débutant. En effet, comment celui-ci pourrait-il nager comme un poisson dans l’eau avec des tonalités qui comportent six ou sept dièses ? C’est pourquoi la plupart des méthodes de piano commencent par des morceaux en do majeur (ou en sol majeur ou fa majeur, avec un seul dièse ou un seul bémol). Il y a donc une opposition entre ce qui est confortable pour la main et ce qui est simple du point de vue solfège.

Pour guider un débutant, ma conviction est qu’il faut trouver un équilibre entre les deux :

Faites apprendre par cœur à l’enfant (par la mémoire de l’oreille et du toucher) quelques petites pièces comprenant des touches noires – cela pour lui faire sentir l’adaptation de la main au clavier. (Voir notre Exercice page ci-contre.)

Développez simultanément sa connaissance du solfège en lui proposant des pièces plus simples. Si l’on oublie cet aspect, le débutant sera vite noyé, car plus tard, il devra jouer des morceaux de plus en plus ardus, dont il ne comprendra plus ni le sens, ni le langage. Il risque alors de se transformer en une sorte de perroquet qui rabâche un discours auquel il ne comprend rien. Et c’est ainsi que tout se bloque. Et que tant de gens abandonnent le piano dès les premières leçons… En somme, un néophyte ne doit aborder l’instrument ni avec la seule mémoire des doigts, ni comme un ignorant de la musique, mais pas davantage comme un « premier de la classe » qui apprend sagement sa leçon sans vraiment ressentir le plaisir de toucher le piano et de vibrer avec lui. Tout doit marcher ensemble. Bref, aider un enfant ou un adulte à commencer le piano, c’est tout un art !

1. N.B. : bien sûr, ce goût de la musique,
vous, vous l’avez déjà !
2. Citation d’Émile Zola reprise dans Mozart
raconté aux enfants, texte lu par Gérard Philipe,
CD, Éd. du Petit Ménestrel.
3. Rainer Maria Rilke, Lettres à un jeune
poète, lettre III, de Viareggio près Pise (Italie),
le 23 avril 1903.
4. Heinrich Neuhaus, L’Art du piano.
Éd. Vande Velde, 1971, p.89.
5. Frédéric Chopin, Esquisses pour une méthode
de piano, textes réunis et présentés par
J.-J.Eigeldinger, Éd. Harmoniques Flammarion,
Paris, 2010.
6. Traité de Tellefsen, op. cit. p.85.
7. J.-J. Eigeldinger, Chopin vu par ses élèves,
3e édition revue et commentée, Fayard, 2006.
8. Heinrich Neuhaus, L’Art du piano, p. 11.
9. Lettre de Mozart à son père
du 14 novembre 1777.
10. Heinrich Neuhaus, L’Art du piano, p. 17.