On connaît bien le compositeur de Carmen pour ses opéras ou ses œuvres symphoniques mais l’on sait moins que Georges Bizet était un virtuose du piano qu’admirait notamment Franz Liszt. L’œuvre pianistique de Bizet est très peu développée mais compte un recueil extrêmement réussi : Jeux d’enfants opus 22 pour quatre mains dont le compositeur orchestrera quelques pièces. Le célèbre mot de Nietzsche à propos de Carmen, « une musique qui ne transpire pas », s’applique tout aussi bien à l’œuvre qui nous occupe. Les 12 pièces qui composent le recueil sont très évocatrices d’atmosphères différentes, reliées au monde de l’enfance. Elles montrent un savoir-faire remarquable, beaucoup d’économie de moyens et de raffinement.
Regardons de plus près la quatrième pièce, un scherzo, Les Chevaux de bois. Le rythme de la main droite donne bien l’illusion d’une chevauchée. On serait tenté de jouer très vite ce morceau, mais cet allegro vivo doit avoir un tempo assez contrôlé afin que le détaché de la partie seconda puisse rester clair et articulé. Il faudra être attentif à la stabilité du tempo et à l’équilibre sonore afin que la partie basse n’asphyxie pas la partie prima. Il n’est pas nécessaire de mettre de la pédale sauf au changement de couleur et de caractère de la mesure 29. Dans cette mesure, les octaves de la partie seconda sont tenuto et n’ont plus le caractère dynamique et enlevé comme précédemment. Il ne faut pas exagérer les crescendos et ne pas rendre trop lourds les forte afin de garder de la réserve pour le fortissimo de la mesure 55.
À partir du la majeur mesure 53, on sera attentif à rendre très audible le canon entre la partie seconda et la partie prima : il s’agit donc de « laisser passer le partenaire » après avoir joué l’entrée du thème. Il faut aussi veiller à ce que les arpèges de la partie prima aux mesures 55, 59 et 67 ne soient pas écrasés mais gardent un caractère dynamique. Ne pas accentuer non plus les arrivées de ces arpèges.
Les gammes ascendantes aux quatre mains des mesures 71 et 72 ne sont pas aisées à exécuter pour sonner ensemble. On peut les travailler par deux mains et l’un des deux pianistes doit jouer « dans le son » de son partenaire (c’est-à-dire un peu moins fort). S’amuser et jouer avec esprit les tierces qui rebondissent d’une main à l’autre avant le retour du thème (mesures 73 à 77). Les six dernières mesures s’évaporent et on les jouera sans pesanteur et sans accent, presque en suspension et sans ralentir.