Extrait du 1er mouvement « Im Legendenton »
NIVEAU SUPÉRIEUR / CD PLAGE 14
La Fantaisie opus 17 de Robert Schumann est peut-être l’œuvre la plus emblématique du compositeur. Véritable cri d’amour adressé à sa muse Clara, on y trouve deux autres illustres musiciens en arrière-plan : d’abord Beethoven, puisque Schumann a conçu initialement sa Fantaisie à l’occasion d’un hommage au grand symphoniste allemand, et puis Liszt, à qui le compositeur dédiera cet opus (en retour, le virtuose lui dédicacera plus tard sa célèbre Sonate en si mineur). Portons notre attention sur le cœur du premier mouvement : « Im Legendenton ».
Après la première partie, où le compositeur s’exprime à la première personne, dans un « je » douloureux et enflammé, Schumann passe de l’autre côté du miroir, du côté du récit, baigné d’une couleur légendaire, comme une mise à distance. On s’attachera à ne pas jouer de manière trop lente et statique ce chant d’un grand recueillement, qui évoque des temps anciens. On imagine aussi une noble procession… La couleur de l’octave est ici très significative. À la mes. 5, Schumann écrit « ritard. » sans préciser d’A tempo : il utilise souvent ce procédé et il ne faut surtout pas exagérer le ralenti afin de ne pas arrêter la marche de la mélodie.
On retrouvera donc le tempo sur le deuxième temps de la mes. 6, après avoir posé naturellement la cadence en ut mineur. À partir de la mes. 7, le thème se décline de manière plus harmonique et on veillera à la plénitude des accords qui ne doit néanmoins pas asphyxier la mélodie.
Masterclasse
Interprétation
Fantaisie op.17 (extrait), de Schumann, par Claire Désert
À la mes. 11, les deux octaves (do) staccato seront jouées sans sécheresse, comme pour clore un chapitre. Le thème est varié à partir de la mes. 13, et il faudra bien travailler la main gauche comme si deux instruments distincts dialoguaient. Le discours s’enrichit, se tend dans une grande intensité dramatique jusqu’au geste à la fois douloureux et libératoire qui part du grave à l’aigu (mes. 26 à 28). Être attentif au poids des articulations par deux à la mes. 26, qui, allié au ritardando, empêche toute virtuosité facile. Une relative accalmie caractérise les mes. 29 à 36, et nous retrouvons les octaves partagées aux deux mains.
À partir de l’Im tempo de la mes. 37, on veillera à l’indépendance du motif en croches et de celui en doubles-croches (en octaves). Ce motif en doubles-croches, dans un mouvement ascensionnel et comme avec un regain d’énergie, ne doit pas être joué staccato et on soulignera le legato des deuxièmes temps des mes. 38 et 40. Bien gérer progressivement le crescendo qui part piano dans le grave à la mes. 37 jusqu’à son acmé à la mes. 46.
À la mes. 53, après une présentation du thème toujours plus intense et douloureuse, Schumann bascule dans un autre espace, où la voix des anges, consolatrice, se fait entendre. Cette mélodie dans l’aigu, lumineuse et tendre, s’épanouira sur un tapis de doubles-croches jouées dans un autre plan sonore, unifié et lointain. L’accalmie sera de courte durée, une chevauchée endiablée prenant le relais à la mes. 67. Il n’est pas facile de superposer le rythme essoufflé des triolets de la main droite avec les doubles croches de la main gauche, l’erreur la plus fréquente étant de tout jouer en rythme binaire. Bien suivre aussi la ligne de basse écrite staccato qui, par son mouvement contraire à la voix supérieure, engendre une grande tension.
Le climax de la partie centrale est atteint à partir de la mes. 76 ; la dynamique fff est assez rarement utilisée par Schumann. La saturation sonore et émotionnelle ne doit pas s’incarner dans une sonorité incontrôlée dans laquelle plus aucun phrasé ne serait possible. La poésie de la coda, mes. 88 à 96, est un pur miracle. On mettra en relief les subtilités des deux présentations du même thème, notamment par le phrasé de l’accompagnement et les crescendi qui changent l’agogique du discours.