☞ NIVEAU AVANCÉ / CD PLAGE 18
Vraisemblablement composée en 1782, la Fantaisie en ré mineur K. 397 est une œuvre particulière dans le corpus pianistique mozartien. De dimensions plus modestes que la Fantaisie en ut mineur K. 396, elle fut publiée pour la première fois en 1804. Dans son article « A Mozart Problem », publié en 1944, Paul Hirsch souligne que les dix dernières mesures, concluant l’œuvre à la tonique, en ré majeur, furent vraisemblablement ajoutées par August Eberhard Müller, compositeur et organiste à Leipzig et ami d’Härtel. Mozart aurait donc pu avoir à l’esprit une œuvre de tout autre envergure : la Fantaisie pourrait servir d’introduction à une fugue ou même à une sonate en ré majeur.
➜ Depuis 1781, de retour à Vienne, Mozart est plongé dans une étude intense de Bach. Cela transparaît dans les œuvres de cette époque. Le début de la Fantaisie en ré mineur en est l’exemple parfait, avec des arpèges « à la Bach », de caractère méditatif, errant entre différentes explorations harmoniques.
➜ Ces arpèges qui ouvrent la Fantaisie portent également la spécificité de cette œuvre : leur caractère libre, improvisé. L’idée même de « fantaisie » se réfère à une forme libre. Elle représente peut- être un précieux témoignage de ce que pouvaient être les improvisations de Mozart au pianoforte. Une des difficultés pour l’interprète est de parvenir à recréer ce sentiment d’improvisation. C’est tout le paradoxe, voire l’impossible concept d’une « improvisation écrite » !
➜ De ce fait, l’interprétation devrait sans doute garder une grande part d’imprévu, de caprice, la fantaisie étant par nature une forme beaucoup plus libre que la forme sonate. Une certaine flexibilité du flux musical, le jeu avec l’agogique, le rubato peuvent aider à créer cette impression, de même que le jeu avec les silences : aux mesures 11, 16, 28, 50-54, par exemple, les silences font partie intégrante du contenu musical et méritent d’être vécus pleinement, comme une attente, afin que le public retienne son souffle…
Fantaisie ré mineur de Mozart, par François Dumont
La masterclasse
L’interprétation
➜ La Fantaisie est composée de trois sections : l’Andante initial, tout d’abord, qui installe le ton de ré mineur. Tonalité tragique par excellence, de Don Giovanni, du 20e Concerto K. 466 ou du Requiem.
✔ La seconde section, Adagio, est la plus développée. Elle commence par un récitatif, avec une présence de plus en plus envahissante du chromatisme : à la main droite sous une forme plutôt « gémissante » aux mesures 13, 17 et 18, puis de manière beaucoup plus menaçante à la main gauche en octaves aux mesures 20-22. On retrouve ici à la basse la quarte chromatique descendante, le fameux « Passus duriusculus » cher au lamento baroque et à la théorie des affects.
✔ Survient ensuite un épisode plus inquiet, mesures 23-27, composé d’appoggiatures (figures de soupirs) et de syncopes, débouchant sur un silence. Avec une main droite éloquente aux accents souvent plus « parlés » que chantés, l’interprète doit ici se faire acteur, personnage tout droit sorti d’une scène d’opéra, sans avoir peur des contrastes dynamiques et des émotions extrêmes. L’esprit du Sturm und Drang, « tempête et passion », a déferlé sur l’Europe et certaines œuvres de Mozart et de Haydn en sont la parfaite manifestation.
➜ Mozart continue d’exploiter ces différents éléments avec l’incursion de deux cadences, presto, gammes fulgurantes contenant également des tierces ascendantes et chromatismes. Malgré leur vélocité-éclair et leur force dramatique et virtuose, ces gammes méritent une étude attentive dans un tempo lent, afin d’écouter leurs contours singuliers qui, précisément, les différencient d’une simple gamme sortie d’un cahier d’exercices.
➜ Les trois présentations du thème de l’Adagio peuvent être traitées différemment, comme si l’émotion, le ton évoluait au fil de la narration : par exemple, un ré mineur simple et tragique, un la mineur aux accents plus pathétiques et le retour en ré mineur pianissimo, comme dans un dernier souffle.
➜ Après la seconde cadence, la dernière présentation du thème plaintif, un éclair d’arpège de septième diminuée et deux brefs accords, l’atmosphère change soudainement à la lumière du ré majeur, Allegretto.
Mais la joie ici n’est point exubérante ou débridée – tout juste une douce insouciance, un sourire entre les larmes. Courageux, voire téméraire, serait le pianiste qui oserait composer une autre conclusion, à la place des dix dernières mesures de Müller ! Et pourtant, on peut avoir le sentiment que l’intensité et le poids de la section en ré mineur appelleraient un dénouement en majeur plus développé et plus long que le bref Allegretto. Mais n’y a-t-il pas une beauté singulière dans l’idée d’une œuvre inachevée ?…