NIVEAU SUPÉRIEUR/ CD PLAGE 12

Goyescas est un cycle composé en 1911 et créé par Granados lui-même au piano. C’est une œuvre inspirée par le peintre Francisco Goya et ses tableaux représentant l’Espagne de la fin du XVIIIe siècle. Pour l’anecdote, Granados est mort en mer à l’âge de 48 ans et a été retrouvé par un sous-marin allemand. Il serait décédé en tentant de sauver sa femme de la noyade alors qu’il était sur un canot de sauvetage. Ils ont péri tous les deux.

Si Granados a vécu entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle, c’est avant tout un compositeur de culture romantique. Grand concertiste et professeur, il s’est souvent rendu à Paris, où il a côtoyé Fauré, Debussy, Ravel, Dukas…

Quejas, o la maja y el ruiseñor (« Complainte, ou la jeune fille et le rossignol »), la 4e pièce des Goyescas, est une page de l’impression et des émotions. Elle repose sur l’opposition entre deux personnages : une femme qui se lamente et un rossignol qui chante. Cette dualité constitue la principale caractéristique de cette pièce, dont la majeure partie est dédiée à la femme et dont la dernière page fait chanter l’oiseau. Ils s’opposent tout en étant complémentaires : la noirceur de la femme accentue les couleurs de l’oiseau, et inversement. Cette opposition me semble autant littéraire ou picturale que musicale.

Une écriture mouvementée
Cette pièce a pour particularité d’être faite de ruptures. L’écriture est assez mouvementée avec des crescendo, des pianissimo qui se succèdent. À cela s’ajoute une instabilité rythmique.

La masterclasse

L’interprétation

La jeune fille et le rossignol, de Granados, par Claire-Marie Le Guay

La difficulté est de tenir la longueur du phrasé et la continuité du chant malgré la fluctuation de l’écriture et des dynamiques. Dans ce chant très soutenu, la douleur s’immisce d’une façon ténue. C’est le début de la pièce qui requiert le plus de temps en matière de travail technique.

Dès les premières mesures, il faut ressentir à la fois ce mouvement et cette direction évoqués précédemment. Puis la main droite se charge de notes, avec des accords parfois acrobatiques et bien remplis. Mais quand on maîtrise cette « continuité » du chant, cette succession d’accords, cela devient fluide et se déroule naturellement. Il faut passer beaucoup de temps à déchiffrer, à comprendre les plans sonores, à organiser le son. Cela peut aider d’écouter beaucoup la pièce.

Pour saisir l’esprit de ces pages, il faut se mettre dans un état émotionnel particulier : comprendre que l’histoire a démarré avant la première mesure.

On trouve dans cette musique de Granados un côté « typique », au sens de « pittoresque ». C’est d’ailleurs un aspect qui revient souvent dans la musique espagnole, et que j’ai expérimenté en travaillant avec Alicia de Larrocha. Dans Ibéria d’Albéniz par exemple, le chant est toujours au premier plan d’une façon très marquée, très appuyée. Autre élément important de la musique espagnole : l’omniprésence du rouge et du noir. Les Goyescas n’échappent pas à cette caractéristique. Le trait noir de cette pièce est celui des lamentations.

La douleur est exprimée sans pudeur, extériorisée et rendue expressive. Elle est sonore. Cela me fait penser aux pleureuses. Cette pièce ne met pas en scène une femme qui pleure parce qu’elle est triste. C’est beaucoup plus profond que cela. Nous sommes presque dans des enjeux de vie et de mort. Cet « Andante melancolico » n’a rien de mièvre ou de sentimental. Il me fait penser au fado portugais ou au mélodrame chez Liszt. On y retrouve cette expression de la douleur.

Les notes ornementées
Les notes ornementées doivent nourrir la note qu’elles accompagnent mais ne doivent pas interrompre le chant. Il est d’ailleurs très intéressant de travailler sans les ornements. Quant aux trilles, ils s’apparentent souvent à des suspensions. Granados s’arrête sur les trilles. Ils sont très descriptifs. Ils représentent pour moi une immobilité vibrante. Il peut arriver qu’on change le doigté dans un trille. Personnellement, je change assez rarement, sauf si un trille est vraiment long (dans ce cas 1/3 ou 2/3). Un trille se travaille dans l’endurance. Cela ne vient pas naturellement.

On peut aussi travailler la variété du trille : en crescendo ou en diminuendo/ en rythmes/ lentement, de plus en plus vite et le ralentir. Gardons toujours en tête ce principe : ne pas travailler en force. Quand on éprouve une fatigue musculaire, il faut se détendre le bras, avant de reprendre le travail.

L’oiseau
La dernière partie, le chant de l’oiseau, est assez difficile à réaliser. Ce passage présente deux difficultés très différentes. D’un côté, il faut obtenir une grande souplesse, associée à une luminosité, une couleur chatoyante et, de l’autre, arriver à recréer dans la rapidité des quadruples croches le caractère très effervescent de l’oiseau. On passe de l’un à l’autre immédiatement. Puis l’oiseau, très fugace, disparaît d’un coup d’ailes. Cette fin rapproche cette pièce de Daisies de Rachmaninov qui se termine comme un coup de vent sur les fleurs.

Propos recueillis par Elsa Fottorino