Notre sélection comporte toujours quelques classiques du répertoire. Nous vous proposons d’analyser l’une d’elle en profondeur, avec l’aide d’un grand pianiste. Pour ce numéro, Anne-Lise Gastaldi nous fait profiter de ses talents d’interprète et de pédagogue.

HAYDN Sonate Hob. XVI : 34, Adagio

NIV. SUPÉRIEUR / PLAGE 18

Tonalité : sol majeur / Mesure : 3/4 / Tempo : adagio, relativement lent

Haydn est un compositeur souvent mis dans l’ombre de Mozart ou de Beethoven alors que son génie est d’une envergure toute aussi grande.

Le corpus des sonates de Haydn est un trésor inestimable pour les pianistes. La sonate qui nous intéresse, celle en mi mineur Hoboken XVI : 34, a été composée en 1781-1782. Sa sin- gularité est déjà due au choix de la tonalité et au format de ses différents mouvements. On délaisse souvent les mouvements lents sauf lorsqu’ils sont devenus célèbres : on a du mal à les travailler car on les lit facile- ment. Or c’est une autre forme de virtuosité de savoir interpréter un mouvement tel que celui-ci : la lenteur est difficile parce qu’elle empêche de conduire les phrases jusqu’au bout et l’interprète, donc l’auditeur, peuvent, du coup, se perdre.

Points d’attention

L’écriture de ce mouvement est très ornée : il y a donc une liberté à trouver dans l’inter- prétation qui, cependant, ne doit surtout pas déformer la structure rythmique.

La pulsation de cet adagio doit impérative- ment être à la noire. Mais, pour la précision des petites valeurs rythmiques, il est parfois efficace de décomposer à la double croche, notamment les valeurs pointées.

Dans un premier temps, travailler avec une pulsation très stable. Bien respecter les indications de staccato et les phrasés indiqués par le compositeur. Par exemple, mesure 13 les articulations sont écrites par 4 triples et, mesure 14, par 8.

Travailler par plusieurs fois 2 mesures, puis 4 et, enfin, une vraie carrure de 8 mesures. Concernant l’utilisation de la pédale, celle-ci sera utilisée mais de manière parcimonieuse. Pour cela, éclairer les valeurs longues par des petites touches de pédale qui feront l’effet d’un vibrato (comme peut le faire un instrument à cordes). Sur les triples croches, être prudent et se laisser guider par l’oreille pour que la pédale ne fasse pas l’effet d’un agglomérat. En revanche, mesures 17, 25 (pour les deux premiers temps), 27 (pour les deux premiers temps), 44, la pédale peut être plus longue, harmonique.

Préconisations

Le matériau utilisé par Haydn est simple mal- gré son discours sophistiqué : des gammes, des arpèges, des accords de 7e… Cela nous démontre à quel point il est important de travailler régulièrement les gammes dans différentes tonalités, les arpèges, les accords parfaits, pour les manipuler avec aisance quand on les retrouve dans les œuvres.

À partir de la mesure 25, l’écriture mono- dique est difficile à réaliser car il y a le risque de changements maladroits de mains : il faut travailler lentement en anticipant le placement de chaque main. Je conseille de jouer la reprise qui nous permet de mieux faire connaissance avec le thème principal et de l’énoncer avec une intention différente la seconde fois. L’interprète averti peut ajouter des ornements la seconde fois !

À la mesure 45, donner beaucoup d’emphase au discours qui devient presque orchestral.

Ce magnifique mouvement lent est d’un caractère très intérieur et nous emmène à la lisière de l’inquiétude (mesure 21 par exemple). L’expression doit être intense mais il faut faire attention de ne pas avoir un son épais dans cette pièce. La transparence du legato, le vécu des silences sont des objectifs musicaux importants.

Focus

Il est également intéressant de se pencher sur la facture instrumentale de l’époque sachant qu’elle a souvent influencé les compositeurs, notamment Haydn, et qu’elle peut nous orienter vers des choix d’interprétation : il semble que chez les Esterhazy dans les années 1780, Joseph Haydn avait principalement à sa disposition des fortepiani du facteur viennois Anton Walter, lesquels ne trouvait pas grâce à ses yeux : « Seulement un sur cent peut être considéré comme vraiment bon, et il est par ailleurs extraordinairement cher. » Le compositeur leur préférait les modèles de Johann Schantz, dont il a fait une acquisition à la fin des années 1780, aujourd’hui au Kunsthistorisches Museum (musée d’histoire de l’art) de Vienne. Il en conseille l’achat à son amie Maria Anna von Genzinger : « Il est dommage que Votre Grâce ne possède pas un fortepiano Schantz, sur lequel tout est mieux exprimé. Vos belles mains et leur aisance d’exécution méritent cela et bien plus. »