Nouveau venu dans ces pages, le talentueux pianiste français commente pour nous trois chefs-d’œuvre du répertoire, dont l’« Étude opus 2, n° 1 », de Scriabine, jouée jadis de manière si déchirante par Vladimir Horowitz.

F. Liszt, Consolation n° 2

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Un contexte de bouleversements

C’est une période remuante dans la vie de Liszt, à plus d’un titre. Il perd trois de ses amis engagés dans la guerre pour l’indépendance de la Hongrie, en pleine révolution du « Printemps des peuples » (1848-49). Son alter ego, à la fois ami et rival, Frédéric Chopin, meurt au mois d’octobre 1849. C’est aussi l’époque où Liszt met de côté sa carrière pianistique pour s’installer avec la princesse Caroline de Wittgenstein à Weimar.

On comprend mieux dès lors la renaissance stylistique qu’on peut remarquer dans ce cycle des Consolations. Liszt recherche ici confidence, intimité, simplicité et économie de moyens, inédits à ce degré-là chez lui.

Le titre du recueil renvoie autant à Sainte-Beuve (Les Consolations, 1830) qu’au poème de Lamartine intitulé Une larme, ou Consolation, extrait des Harmonies poétiques et religieuses, publié en 1830.

La Consolation n°2 dans le cycle

Il est important de considérer ce recueil comme un ensemble de six pièces reliées entre elles. La Consolation n° 2 s’enchaîne attacca à la suite de l’arpège qui clôt la première. En effet, cet arpège conclusif ne dure qu’une blanche pointée (au lieu d’une ronde), l’anacrouse commençant la seconde consolation permettant de compléter la mesure. C’est la nécessité d’un enchaînement qui est indiquée de manière indirecte.

La masterclasse

L’interprétation

Si la première Consolation était noble, contemplative, profonde, unie dans son caractère, la seconde sera au contraire beaucoup plus instable et changeante ; on passe de la sérénité à l’inquiétude, de la tendresse à la passion, de la confiance à l’incertitude. Le défi pour l’interprète sera de rendre aussi vivant que possible ces changements de caractère.

Quelques éléments d’analyse

➜ Commençons par étudier le thème, ces huit premières mesures à partir desquelles découleront tous les épisodes de la pièce. Cette belle mélodie peut être divisée en deux sections de quatre mesures. Dans la première (mesures 1 à 4), vous veillerez à jouer à la main gauche un accompagnement aussi doux, lié et fluide que possible. Il s’agit d’évoquer la harpe. La main doit rester souple, les doigts plutôt allongés et détendus. La main droite cultivera l’expression vocale et la qualité du legato. Les dernières phalanges doivent presser avec la pulpe de chaque doigt, tandis que le poignet et le bras restent souples.

➜ La seconde section (mesures 5 à 8) est le cœur expressif de ce thème. L’accompagnement se fait plus hésitant et rare, et l’attention de l’auditeur va être focalisée sur des notes-clés, sortes « d’arrêts sur images » sonores, que Liszt va mettre en relief avec une palette variée (chevron, tiret, accent…*).

➜ Il est possible d’utiliser le rubato pour mettre en valeur le contenu extraordinairement expressif de ces mesures 5 et 6. Il s’agit de dilater le temps, le suspendre, avant d’avancer de nouveau sur les mesures 7 et 8. Le rubato est toujours un équilibre, le temps qui a été pris doit être rendu !

➜ Ces mes. 5 à 8 vont être retravaillées tout au long de cette première partie. Le motif sera repris à la mes. 13, il est alors transformé par une superbe modulation en do majeur (mes. 14). Comment la mettre en valeur ? Vous pouvez attendre quelque peu, et jouer cette nouvelle harmonie de la manière la plus suave possible, en hésitant légèrement, comme si vous étiez en train de découvrir un monde merveilleux qui ne vous est pas encore familier.

➜ J’aimerais m’attarder sur une recommandation d’interprétation, un peu plus loin dans la pièce. Il s’agit de l’indication appassionato à la mesure 49. Remarquons tout d’abord que cet adjectif est extrêmement rare dans le cycle des Consolations. Cette mesure 49 doit être préparée par un léger crescendo doublé d’un accelerando progressif et régulier dès la mesure 46. Ainsi le caractère lyrique et tendre de la mesure 38 laissera la place peu à peu à un sentiment plus ardent et passionné. C’est le processus de transformation du sentiment qui doit intéresser l’interprète, plus encore que le sentiment en soi !

J’espère avoir montré à travers ces quelques exemples que l’art du rubato, qui peut permettre de passer d’une manière subtile d’un sentiment à un autre, ainsi que la sensibilité aux modulations et changements de couleur, sont essentiels à une interprétation convaincante de cette pièce.

* En les classant du moins au plus intense : tiret, puis accent, puis chevron, et enfin sforzando…