Selon Brigitte Massin, la soif d’amitié était le mobile psychologique le plus puissant de l’existence de Franz Schubert. Le quatre mains est le lieu de l’échange, du dialogue amical. Peut-être est-ce une des raisons pour lesquelles Schubert nous a offert une œuvre extrêmement abondante pour cette formation. Que de chefs-d’œuvre, du plus court Ländler aux partitions extrêmement développées comme les Divertissements ou le Grand Duo par exemple ! Parmi tous ces opus, la Fantaisie en fa mineur, écrite la dernière année de sa vie, est une œuvre à part, œuvre testament, un véritable voyage ; le « Wanderer » ici se confie… Avec ses quatre mouvements qui s’enchaînent, l’unité profonde de l’œuvre est renforcée par un thème totalement envoûtant qui ouvre, clôt et que l’on retrouve de part en part de la pièce. B. Massin décrit ce thème comme « fragilement inquiet ». Le rythme pointé donne effectivement la sensation de quelque chose d’un peu insaisissable, un appel intérieur que la reprise en majeur n’apaisera pas totalement. On retrouvera ce rythme pointé dans la deuxième idée, avec un tout autre caractère, mais aussi dans le largo. Il ne faut évidemment pas jouer la note brève de manière trop nerveuse et la répétition du do doit rester souple et nostalgique. Schubert écrit : allegro molto moderato. Il faut trouver un tempo qui coule mais sans empressement aucun. La pédale doit être levée sur les deuxième et quatrième temps, de manière souple, afin qu’il n’y ait aucune sécheresse dans la sonorité. Aucune sentimentalité exagérée ne doit ternir la pudeur et la simplicité du thème et il faut veiller à ce que la petite note, l’appoggiature, soit jouée avec tendresse et douceur mais sans alanguissement.
À la mesure 23, la partie seconda prend la parole pour un dialogue qui continuera à la main droite de la partie prima. On travaillera cet échange afin qu’il soit homogène, comme le feraient deux instrumentistes d’un quatuor à cordes.
Noter à la mesure 31, puis 33 et 35, une progression avec toujours plus d’insistance sur la note sol bémol à la partie supérieure et si bémol à la basse. À la mesure 36, on enlèvera les quatre mains et la pédale avec douceur, de la même façon, afin que le son ne soit pas coupé brutalement mais s’éteigne pour laisser place à un silence habité de questionnement et de nostalgie. On ne doit bien sûr pas avoir l’impression que les interprètes comptent les temps à l’intérieur de ce silence, mais plutôt qu’ils se perdent dans une attente inquiète. Notons que le thème en fa majeur est noté PP alors qu’il n’était énoncé initialement qu’un seul P. La tonalité majeure est presque plus fragile…
À la mesure 47, nous préférons ne pas préparer l’épisode suivant par un crescendo, afin que le dramatisme du retour en fa mineur soit encore plus éloquent. La deuxième idée est on ne peut plus contrastée ; nous sortons du lied, pour entrer dans une écriture plus orchestrale. Les staccatos ne doivent pas être trop secs, et on mettra un peu de pédale sur les premiers temps de chaque mesure (les sfz ). À la mesure 52, il y a une ambiguïté rythmique que l’on retrouve souvent dans l’écriture de Schubert. Il faut concilier le triolet de la main droite et la valeur pointée binaire de la main gauche. L’usage veut que l’on joue la double croche de la main gauche en même temps que la troisième croche de la main droite.
À partir de la mesure 57, la main droite de la partie seconda doit parfois enlever des notes afin de ne pas gêner la main gauche de la partie prima. Ce travail préparatoire est très spécifique au quatre mains.
À partir de la mesure 66, l’accompagnement du thème se fait à trois mains. Il doit être fluide et doux, et les noires de la main gauche et de la partie prima doivent s’inscrire dans le flux, sans sécheresse ni lourdeur. On travaillera cet accompagnement pour trouver le balancement et l’homogénéité nécessaire.
Quelques mots sur la transition qui amène le Largo, mesure 102 : les croches se retrouvent dans l’aigu de l’instrument, telle une vibration, un miroitement lointain. On cherchera un beau legato pour les trois autres voix avec des petits crescendos que l’on n’exagérera pas. Ce sont des inflexions dans l’expression qui ne doivent pas troubler le sentiment de paix presque religieux qui habite le passage.
