A. Scriabine, Étude op. 2, n° 1
☞ NIVEAU AVANCÉ/ CD PLAGE 11
Un génie dans les pas de Chopin
Il est évident que l’influence de Chopin est centrale chez le jeune Scriabine. On constatera déjà la similitude des genres pianistiques abordés – études, impromptus, mazurkas, préludes etc. –, sans oublier les éléments plus profonds de cette empreinte, sur le plan harmonique, par exemple.
Dans son Étude op. 2, n° 1, Scriabine s’inspire de l’Étude op. 25, n° 7 de Chopin. Ici, comme dans le modèle chopinien, on a plutôt affaire à un poème lyrique qu’à une étude virtuose.
La déchirante Étude op. 8, n° 11, que Scriabine écrira quelques années plus tard, se situe également dans cette descendance. Si « étude » il y a, elle porte sur des notions plus larges comme le legato, la conduite des phrases, la maîtrise des plans sonores, le contrôle du timbre des accords… On ne peut qu’être en admiration devant le sens poétique, l’inspiration mélodique et la riche palette harmonique de ce jeune adolescent de 15 ans !
Dialectique musicale
La dialectique, plutôt que de s’intéresser à la permanence des choses, veut porter son attention sur leur mouvement, leur transformation. Ce qui permet au bourgeon de devenir une fleur, à une chrysalide de devenir papillon, voilà ce qui intéresse la dialectique…
La masterclasse
L’interprétation
De la même façon, l’interprète, lors de la reprise d’une idée musicale, doit avant tout s’interroger sur les différences, sur ce qui va en modifier le sens musical. Observons les trois occurrences du thème principal :
➜ 1er énoncé (mesures 1 à 8)
Scriabine indique un crescendo à la première mesure, un diminuendo à la seconde, idem aux mesures 3 et 4, puis de 5 à 8 un crescendo long est signalé.
➜ 2e énoncé (mesures 9 à 16)
Cette fois le crescendo est continu sur les mes. 9 à 12, tandis que les mes. 13 à 16 sont forte. Le parcours tonal est beaucoup plus modulant que la première fois, certaines harmonies plus dissonantes (sur les mes. 10 et 12). Par ailleurs le rythme de la phrase se modifie également, puisque le thème qui comprenait trois sous-sections (deux carrures de deux mes. puis une carrure de quatre), n’en comprend plus que deux (2 x 4 mes.). La façon de considérer le rubato s’en trouvera donc altérée : l’élan sera plus important aux mes. 9 à 12, pour construire une carrure de quatre mesures en progression constante, sans la détente que permettaient les mes. 2 et 4. La deuxième exposition du thème demandera ainsi plus de tension musicale, plus d’élan (tempo « vers l’avant » sur les mes. 9 à 12, dilatation du temps musical sur les mes. 13 à 16), et un jeu encore plus expressif.
➜ 3e énoncé (mesures 26 à 33).
Dans cette « réexposition », la nuance forte s’applique maintenant aux quatre premières mesures du thème. Le cœur expressif du thème, qui avait concerné jusque-là les quatre dernières mesures, est donc déplacé en sa première moitié, ce qui en change profondément le sens. Cela donne une couleur plus nostalgique, plus résignée au merveilleux contre-chant des mesures 30 à 32, qui est maintenant varié en doubles croches à la main gauche…
J’espère avoir montré à travers ces exemples qu’une observation scrupuleuse de la partition permet de construire une interprétation riche et sans cesse renouvelée.