Vers 1820, Beethoven et des artistes de son temps livrèrent des variations sur un thème composé par Diabelli. Bärenreiter a réuni ces trésors viennois.
Pour la première fois, l’édition récente de Bärenreiter réunit 83 variations de Beethoven et de ses contemporains sous une même publication, comme l’avait réalisé Diabelli deux siècles auparavant. Sous la direction du musicologue autrichien Mario Aschauer, l’édition fait preuve, elle aussi, d’un travail à grande échelle, une anthologie en quelque sorte, réunissant plusieurs manuscrits dont quelques divergences sont également notées dans la partition.
Le résultat : une prouesse admirable qui met en lumière ces compositeurs et leur créativité foisonnante, laquelle s’épanche dans un ouvrage monumental en l’honneur d’une petite valse banale. En 1819, de nombreux musiciens viennois ont été sollicités par l’éditeur Anton Diabelli, qui souhaite constituer une anthologie de variations sur un thème de valse de son propre cru. D’après la légende, Beethoven aurait été le seul compositeur à décliner cette proposition.
Ce thème de Diabelli, paraît-il, était trop banal pour le maître savant, semblable à un « rapiéçage de cordonnier » – selon les propres mots de Beethoven – cousu d’enchaînements routiniers et mécaniques. Néanmoins, le projet ambitieux a été accueilli chaleureusement par une kyrielle de compositeurs illustres, parmi lesquels Czerny, Schubert, Mozart fils et un jeune Liszt, à peine douze ans. Chacun des cinquante contributeurs fournira, comme demandé, une seule variation à ce projet ambitieux, lequel s’est étalé sur plusieurs années. Or, en 1823, à quelques mois près de la parution de l’anthologie, Diabelli publie un recueil de 33 variations… le tout signé Beethoven !

Variations Diabelli
33 Variations sur une valse, op. 120,
Beethoven & 50 Variations sur
une valse, Czerny, Liszt, Moscheles,
Schubert… (Bärenreiter)
Que la participation ultérieure du maître soit supposément reliée aux raisons financières n’éclipse pas l’ampleur ébouriffante de son Opus 120, achevé en parallèle avec la Missa Solemnis lors de la dernière décennie de sa vie. De cette petite valse aux harmonies anodines jaillissent des microcosmes où se révèlent toutes les facettes de l’ultime Beethoven. Humeur et ironie abondent dès la Première Variation jusqu’à la caricature du fameux air de Leporello (du Don Giovanni de Mozart) dans la Vingt-deuxième. Tendresse, splendeur et fantaisie aussi, jusqu’à l’apothéose des trois dernières variations qui rappellent le monde secret et philosophique des sonates tardives pour piano.
Paradoxalement, la pauvreté de la matière thématique initiale – une simple alternance d’accords rudimentaires précédée par une tournure décorative – convenait parfaitement au processus créatif de Beethoven. Doté d’une richesse d’invention incontestable, il était sans doute le seul compositeur de son temps qui parvenait à créer un chef-d’œuvre à partir d’une poignée de notes.
Pour arriver à la cheville de l’immense imagination de Beethoven, il fallait toute une génération de compositeurs, chacun dévoilant à sa façon son regard musical à l’aube du XIXe siècle. Czerny, qui fournit également le coda clôturant les cinquante variations, reste résolument dans les mœurs du classicisme alors que Hummel, déjà tourné vers l’avenir, revêt sa variation d’harmonies audacieuses. Le jeune Liszt s’impose, virtuose et flamboyant ; Schubert, lui, allie élégance et mélancolie, alchimie remarquable qui imprègne toute son œuvre. D’autres auteurs, moins connus mais tout aussi inventifs, nous rappellent la riche diversité de cette époque.
Les cinquante variations furent publiées peu après celles de Beethoven mais ne sont rien de moins qu’un panorama fascinant du cercle musical viennois.