Dusapin et Kiefer entrent au Panthéon
À l’occasion de l’entrée au Panthéon des cendres de Maurice Genevoix, deux installations furent inaugurées, en hommage aux victimes de la Grande Guerre que l’écrivain célébra dans Ceux de 14. Ces œuvres commandées par l’État au compositeur Pascal Dusapin et au peintre Anselm Kiefer révèlent la couleur dominante de l’art de chacun.
L’artiste allemand a mis en vitrine des épis de blé figés à jamais, des vélos, des fusils épars qui, dans des couleurs ocre et ferrailleuses, figurent la désolation de la guerre. Deux tableaux géants plus saisissants, sombres perspectives à la matière grise et granuleuse, les côtoient. À ces œuvres d’un désespoir brut et sans issue répond la poétique de la consolation transfiguratrice de Pascal Dusapin.
Titre en hommage à Giacinto Scelsi, In nomine lucis est une pièce vocale d’une grande sensualité tragique vouée à faire chanter les pierres du Panthéon grâce à un dispositif spatialisé de 70 haut-parleurs. Enregistrées par le Chœur Accentus, 150 séquences vocales d’1 à 4 min sont diffusées à peu près toutes les 20 min selon un ordre changeant. Entre ces chœurs très enveloppants dans leur forme cristalline, des noms de disparus pendant la guerre sont récités, ombres poignantes en écho à la touchante salve funéraire du compositeur.

Crédit photo : SDP
A écouter sans modération
Quinte & Sens
Diffusé sur Arte le 24 janvier dernier, Quinte & Sens, le film musical réalisé par François-René Martin et Gordon bouscule nos repères. Plans de drones, travellings audacieux, on découvre la Philharmonie d’un autre angle. L’Oiseau de feu tournoie dans une lumière ocre, presque brumeuse. Sur scène, l’orchestre se prépare au combat. Sacre du printemps. Les bois annoncent le rite autour d’une sphère lumineuse. Le timbalier se fait forgeron. Puis, la salle devient paquebot. Aux bastingages, les marins chantent La Mer de Debussy. Voyage surnaturel clos par l’appel interstellaire de Messiaen.
Beatrice Rana
La pianiste italienne jouait le 27 janvier dernier, accompagnée de Paavo Järvi et de l’Orchestre de Paris, le 1er Concerto de Tchaïkovski. Visage sculptural, elle modèle l’œuvre dans l’instant. Noblesse de l’ouverture, inventivité des couleurs et des phrasés, lyrisme passionné. Jamais les octaves fougueuses ne sonneront comme des salves. Altière et simple, elle concentre son expressivité dans le son du piano.
Florent Boffard, Beethoven, Berg, Boulez
Pianiste à la sonorité élégante et au jeu subtil, Florent Boffard propose un ambitieux programme reliant la modernité de trois grands B. Beethoven surgit à travers une version assez transparente de l’Appassionata, ce qui a le mérite de l’originalité et permet d’écouter autrement ce sommet. De la Sonate de Berg émane un romantisme clairvoyant qui irradie ce bloc de tension expressionniste.
La Troisième Sonate de Boulez est déployée avec un velouté, un moelleux dans les sonorités, une mesure parfaitement dosée entre vivacité et délicatesse. Ne forçant jamais sur les intentions, tout un arc poétique en éclats est déployé pour servir cette œuvre ouverte d’un compositeur qui fut aussi un pianiste très doué. En création mondiale, Antiphonie, un segment inédit des agrégats de cette sonate en fragments est créé par Boffard, dévoilant une sensualité et une luxuriance dans l’abstraction de Boulez qui accentuent la séduction de cette pièce rétive à se dévoiler, comme toutes les grandes œuvres.