Benjamin Grosvenor, Schumann & Brahms – Decca
Le piano s’enflamme sous les doigts de Benjamin Grosvenor, le jeune pianiste anglais nous menant dans les pages turbulentes des Kreisleriana, pièce maîtresse d’un récital tissant un dialogue entre Robert, Clara et Johannes.
S’abandonnant au songe fiévreux du jeune Schumann, l’interprète fait jaillir le feu de l’ouverture pour se recueillir aussitôt devant les intermèdes oniriques. Son clavier aux sonorités charnues étoffe un récit bouleversant que le pianiste livre telle une légende, osant un rubato généreux mais toujours judicieux et des jeux de contrastes au cours des huit pièces de l’opus. Sans pour autant rentrer dans la provocation, car le jeu de Benjamin Grosvenor demeure toujours noble, profond et intègre. L’architecture y est infaillible, reposant sur une pulsation intérieure qui parvient à rendre cohérente la riche panoplie de caractères et de tempo.
La noirceur des Kreisleriana s’étend sur les autres œuvres de Schumann, d’une Romance élégiaque aux quatre variations tirées de la 3e sonate dont le thème mélancolique vient de Clara, laquelle écrit à son tour des variations sur un thème de son époux qu’elle crée devant Johannes Brahms

Crédit photo : Andrej Grilc

Méditation et confessions
Si l’interprète souligne l’équilibre entre luminosité et ombre dans l’œuvre de Clara, il évoque des paysages sombres d’une désolation profonde dans les trois intermezzi de Brahms que l’auteur avait nommés « les berceuses de ma douleur ». De la solitude du premier Intermezzo aux soupirs enveloppants du deuxième, le pianiste puise dans une palette automnale pour mettre en relief la méditation et l’intimité de ces confessions. Le troisième Intermezzo défend une vision décidément crépusculaire, préférant la gravité au pinceau nuancé de Radu Lupu pour ne proposer qu’un seul répit dans une partie centrale lumineuse. Choix qui surprend mais qui ne se contente jamais d’une simple uniformité, la diversité du phrasé et l’interprétation envoûtante ne cessant de subjuguer tout au long de cet album magistral.