Il compta parmi les plus éminents pianistes de jazz apparus dans les années 60. Explorateur éclectique de territoires musicaux variés – du rock aux rythmes latins -, il est mort le 9 février à 79 ans.

Manifeste d’un talent émergeant

Armando Anthony Corea, dit Chick, né en 1941 à Chelsea (Massachusetts), débute à 20 ans avec l’orchestre de Willie Bobo puis celui de Mongo Santamaria, manifestant d’emblée un goût prononcé pour les rythmes latins. C’est donc naturellement qu’il participe à l’album Sonny Stitt Goes Latin, puis à celui du vibraphoniste Dave Pike pour l’excellent Manhattan Latin.

S’ensuit une collaboration avec le trompettiste Blue Mitchell dont l’album The Thing To Do enregistré pour Blue Note inclut Chick’s Tune, composition personnelle qui lui permet un solo d’une grande clarté, lequel témoignant de son écoute de Bud Powell, manifeste un talent émergeant. Sa véritable naissance stylistique s’opère en 1966 pour le disque de Blue Mitchell, Tones For Joan’s Bones ; sa composition Straight Up And Down et le brillant solo qu’il y prend, soutenu par le batteur Grady Tate, dont c’est une des meilleures prestations, préfigurent à bien des égards son chef-d’œuvre à venir.

Collaborant avec Hubert Laws, Cal Tjader, Herbie Mann puis Stan Getz (notamment pour le disque Sweet Rain), il perfectionne son approche du clavier où s’imbriquent avec énergie les influences croisées de Bill Evans, Bud Powell et la musique latine (Turkish Women At The Bath pour Pete La Roca, The Creeper avec Donald Byrd où figure déjà Samba Yantra).

Un modèle, une inspiration, un trésor

Puis éclate, enregistré en mars 1968, son album Now He Sings Now He Sobs, disque lumineux de clarté, d’une infinie élégance, d’une fraîcheur et d’une originalité littéralement inouïes. S’appuyant sur un répertoire composé de pièces originales d’un grand raffinement mélodique et harmonique, Chick Corea installe un univers sonore immédiatement personnel que Miroslav Vitous et Roy Haynes en pleine empathie métamorphosent en un délicat feu d’artifice musical où rigueur et contrôle alimentent et ordonnent un flux rythmique et mélodique presque miraculeux.

Crédit photo : Facebook Chick Corea

BIO EXPRESS
1941 Naissance
le 12 juin, à Chelsea
(Massachusetts)
1959 S’installe à New York
et entame des études
à Columbia puis à la
Juilliard School
1968 Parution
de l’album Now he Sings,
Now he Sobs
2021 Mort le 9 février
d’une forme rare de cancer

De la cantilène de What Was à la libre improvisation de The Law Of Falling and Catching Up, pas un cliché, pas une formule empruntée ne se fait entendre et les pièces s’enchaînent avec constante énergie, grâce et subtilité harmonique.

Aucun autre nom que celui de Chick Corea ne figure sur la pochette. Pourtant le son profond et l’articulation précise de la basse, la souplesse de ses lignes, l’extraordinaire sonorité de la cymbale (on découvrait alors la « flat ride ») et de la caisse claire du batteur, sa prodigieuse capacité à crépiter en des figures parfois. complexes mais ahurissantes de mise en place et de finesse, tout conduit à penser à des maîtres. Ils le sont.

Des années plus tard, un double album vinyle puis un CD dévoilent que les cinq morceaux appris par cœur du disque original ne représentent pas tout ce qui a été enregistré. Huit plages supplémentaires ! Dont deux standards (Pannonica de Thelonious Monk, et My One And Only Love). Comprenant désormais treize plages, Now He Sings, Now He Sobs demeure pour les musiciens du monde entier (et pas seulement les pianistes) un modèle, une inspiration, un trésor. Chaque nouvelle écoute le révèle plus incomparable, plus riche de musique : trait propre aux chefs d’œuvre.

Du trio arc au groupe return to forever

Quelques semaines plus tard, Chick Corea est engagé par Miles Davis, mais au piano électrique. C’est avec le trio ARC qu’il forme trois ans plus tard avec le bassiste Dave Holland et le batteur Barry Altschul, auxquels vient rapidement se joindre le polyinstrumentiste Anthony Braxton, qu’il poursuit sa voie personnelle, donnant à la salle Pleyel un concert légendaire avec cette nouvelle formation baptisée « Circle » qui, hélas, cesse rapidement d’exister. Après deux albums d’improvisations en solo pour ECM qui attestent de la liberté harmonique conquise auprès de Miles Davis et de Circle, il forme un groupe influencé par le jazz-rock alors en vogue, Return To Forever, là encore au piano Fender Rhodes ou au synthétiseur.

La grâce acoustique renaît lors des duos avec le vibraphoniste Gary Burton ou les pianistes Herbie Hancock et Friedrich Gulda (avec lequel il grave aussi le Concerto pour deux pianos K.V. 365 de Mozart), avec ses Children’s Songs, sorte de modernes Kinderszenen. Au début des années 80, il reforme son trio avec Miroslav Vitous et Roy Haynes pour quatre albums exceptionnels (Trio Music, Live From The Country Club, Dream et Live In Europe) avant de retourner au Fender avec son Elektrik Band, qu’il fait alterner avec un nouveau trio acoustique où officient John Patitucci et Dave Weckl.

Le fruit d’un parcours atypique

En 2001, au Blue Note de New York, il convoque Vitous et Haynes pour célébrer Now He Sings Now He Sobs, gratifié entre-temps d’un « Hall Of Fame » Grammy Award. La clarté du toucher, l’impressionnante variété rythmique de son phrasé, la flamboyante liberté de son imagination harmonique et mélodique, fruit d’un parcours atypique mêlant jazz, latin, classique et rock, font alors à nouveau merveille, signant la consécration d’un pianiste original, à propos duquel il convient de ne jamais oublier qu’il est aussi un bon batteur, déployant ainsi une qualité percussive de l’énonciation, une clarté digitale et une fraîcheur d’inspiration qui ne sont jamais prises en défaut.