Le plaisir de jouer les œuvres du maître polonais ne s’épuise pas… On se précipitera donc sur ces trois études publiées chez Peters – moins célèbres que leurs vingt-quatre grandes sœurs, mais au charme irrésistible.

Pianistes, musicologues et chopiniens peuvent se réjouir de cette belle édition des Trois Nouvelles Études de Chopin, dernière publication en date de Peters dans le cadre de son ambitieuse édition critique des œuvres du compositeur. L’Édition nationale polonaise a longtemps dominé la question, ainsi que celle publiée sous le nom de Paderewski, mais Peters et son excellente équipe de chercheurs s’imposent aujourd’hui à leur tour, en confrontant interprétation et texte, notamment à travers cette nouvelle publication réalisée sous le regard aiguisé de Roy Howat. Le pianiste et musicologue met en pleine lumière ces trois études qui, malgré un lyrisme envoûtant, n’ont jamais pu sortir de l’ombre portée des célèbres vingt-quatre Études des Opus 10 et 25.

Les Trois Nouvelles Études : la méthode des méthodes

Offertes par Chopin au pianiste et compositeur Ignaz Moschelès, les Trois Nouvelles Études n’étaient pas destinées à être jouées en public, mais à être publiées dans une anthologie pédagogique dirigée par Moschelès et par le compositeur, journaliste et musicologue François-Joseph Fétis, judicieusement appelée la « Méthode des méthodes ».

Trois Nouvelles Études
opus posthume de Frédéric Chopin,

éditée par Roy Howat pour
les éditions Peters

Lors de leur publication en 1840, quelques années après la composition des Études opp. 10 et 25, Chopin était déjà admiré pour sa maîtrise du genre « étude pour piano » : la complexité harmonique, mélodique et structurelle de ses courtes compositions transcendait le simple défi virtuose. S’il n’était pas le seul compositeur à se consacrer au développement des techniques pianistiques, son rôle dans la transformation de l’étude d’un humble exercice en une authentique expression artistique et poétique sera révolutionnaire pour l’instrument et pour l’histoire de la musique.

La première des trois études que nous regardons aujourd’hui part d’un travail sur la polyrythmie pour ouvrir tout un monde de couleurs automnales digne d’un nocturne : une houle d’arpèges tourmentés à la main gauche déferle sous le chant sinueux de la main droite. Chopin aimait tant ce joyau qu’il l’avait partiellement recopié dans les albums d’autographes de certains amis, tels la pianiste Jenny Veny ou le sculpteur Jean-Pierre Dantan. Ces fragments informels ont toute la valeur d’un manuscrit authentique. Ils ont permis, pour cette édition, de reconstituer quelques variations mélodiques proposées comme ossia. Ce choix demeure fidèle aux souhaits de Chopin, tout en soulignant l’évolution permanente d’un texte musical qui n’est pas figé pour son auteur.

Chopin, l’inventeur d’un instrument

Toutefois, les nombreuses sources – parfois erronées – associées aux œuvres de Chopin font de la reconstitution d’une version absolue une tâche redoutable, tant elle est truffée de pièges qu’il faut déminer. Si d’autres éditeurs privilégient la synthèse de plusieurs sources pour mettre au point une édition, celle de Peters préfère s’appuyer sur le manuscrit principal préparé par Chopin lui-même afin d’éviter que des détails secondaires ne viennent brouiller les intentions réelles de l’auteur. Mise au service de la lisibilité du texte, cette nouvelle édition ne propose volontairement aucun doigté qu’aurait pu donner Roy Howatt, mais conserve ceux de Chopin présents dans son manuscrit principal.

Or, les quelques doigtés du compositeur et pianiste sont révélateurs d’une inventivité pianistique étonnante, notamment dans l’emploi mélodique et virtuose du pouce : la Première Étude l’utilise ainsi consécutivement pour énoncer un motif mélodique, tandis que la Troisième exige qu’une brillante descente d’arpèges soit exécutée par le pouce seul ! Ces indications inédites avaient tellement perturbé les éditeurs du xixe siècle qu’ils avaient supprimé les plus novatrices. Aujourd’hui, ils sont les révélateurs de la richesse de l’invention, de l’imagination foisonnante du compositeur franco-polonais « inventant » un instrument aux possibilités infinies.