Bordeaux Concert ECM
Avant le concert à Munich récemment publié, Keith Jarrett s’était produit le 6 juillet 2016 à l’Auditorium de l’Opéra national de Bordeaux, dernier concert de cette tournée. Le Carnegie Hall l’avait accueilli le 15 février 2017, et deux AVC en 2018, provoquant une paralysie du côté gauche, font que les traces discographiques de ses prestations deviennent d’autant plus précieuses, particulièrement celle-ci à Bordeaux où les treize pièces improvisées sont d’une élévation et d’un lyrisme qui rappellent de façon émouvante le Köln Concert ou ceux de Brême et Lausanne. Désormais retiré de la vie musicale, Jarrett n’offrira plus de récital solo tel que celui proposé ici. On se prend à penser que l’homme alors de 71 ans tantôt penché sur le clavier, tantôt en position extatique, dit à sa manière l’émotion que soulève la pensée du temps qui reste, du silence qui va venir, de la vieillesse et de ses incapacités. Quoi qu’il en soit, improviser avec cette grâce continuelle, cette fraîcheur d’inspiration toujours présente, est la marque d’un très grand musicien. Mais nous le savions déjà.
ESBJÖRN SVENSSON
Home.s. ACT
Durant quinze ans, de 1993 à 2008, le pianiste suédois Esbjörn Svensson comble les mélomanes avec son trio E.S.T., un des plus originaux et inventifs qui soient. Le 14 juin 2008, il décède, noyé au cours d’une plongée sous-marine dans le golfe de Stockholm. Sa femme Eva ne découvre que des années plus tard un album qu’il a enregistré chez lui sur son piano, seul face au clavier. Les neuf plages aujourd’hui rééditées constituent un message de l’au-delà, en quelque sorte. Méditatifs, ces morceaux semblent pressentir le destin à venir tant le silence y est poi- gnant, les notes éthérées choisies avec concentration et poésie. Les doigts ne sont pas ici le plus important : ils sont le message lui-même, créant un monde pianistique qui n’a plus ni histoire, ni pays, une sorte de chant des sphères posthume dont la gravité gracile évoque ce qui est le cœur même de la musique, que Platon dans le Timée, en une formule splendide, définissait comme « une image mobile de l’éternité ».