Eliminatoires,
Mardi 8 novembre
Ambiance festive au Long-Thibaud. Tandis que le public s’installe ce mardi matin salle Cortot, le président du concours Gérard Bekerman et le pianiste François-René Duchâble, un des membres du jury, improvisent un quatre mains sur scène.
Les jurés Rena Shereshevskaya, Marc Laforet, Momo Kodama, János Balázs, Philippe Entremont…prennent place pour écouter les onze candidats.
Anna Ojiro, Japonaise de 25 ans issue de l’École Normale de Musique, ouvre le bal. Dans la musique française, elle fait montre de délicatesse, avec une sonorité transparente et perlée. Son Poulenc est clair et vif mais elle convainc moins dans Chopin qu’elle a plus de mal à dominer techniquement. Elle dépeint de belles atmosphères dans la 6ème Sonate de Scriabine mais parfois au détriment de la stabilité du discours.
Le Belge de 24 ans, Valère Burnon passionne d’emblée par un jeu très personnel et affirmé. Sa 2ème Sonate de Scriabine saisit par ses contrastes déchirants. Ses fortissimo très puissants ne sont jamais durs et il parvient à maintenir l’intensité dramatique tout au long de ces deux mouvements. Idem dans la 2ème Sonate de Chopin, où l’on retrouve de véritables qualités narratives. Ce jeu tout en contraste n’ennuie jamais même s’il séduit un peu moins dans Le Rappel des oiseaux de Rameau.

Non moins intéressant, le Sud-Coréen de 24 ans, Noh Heeseong livre un Chopin très souple et équilibré, avec une sonorité flatteuse. Dans la Toccata de Ravel, sa liberté de ton et sa fantaisie sont toujours maîtrisées, et restent dans les limites du « bon goût ». Son jeu très vivant impressionne dans la Mephisto Walz n°1 de Liszt. En dehors de sa virtuosité incandescente, il atteint là aussi un bel équilibre dans le discours, entre passages sarcastiques et ambiances macabres.
Wei-Ting Hsieh, Taïwanaise de 26 ans, fait preuve d’une grande solidité. Son Presto de Poulenc est parfaitement réalisé. Elle domine la Sonate n°2 de Chopin. Mais son jeu manque un peu d’imagination, qui donnerait plus d’ampleur à l’ensemble. En particulier dans le 4ème mouvement de la « Sonate funèbre », dans lequel on aimerait davantage de mystère.
Kotaro Shigemori, Japonais de 22 ans, se distingue avec un phrasé ample dans la Variation sur un thème original en ré majeur, op.21, n°1 de Brahms mais cette générosité et cette puissance sonore nous fait perdre le fil dans la Toccata de Debussy. Le Rappel des oiseaux de Rameau est interprété dans un tempo très rapide et manque de charme. Cette rapidité convient davantage à la Sonate n°2 de Chopin qu’il défend avec panache.
Vient le tour de Masaya Kamei, Japonais de 20 ans qui démarre avec un Rameau assez subtil. Sa pédale savamment dosée associée à un toucher articulé séduisent également dans Poulenc et Ravel. Il sait également se montrer passionné dans Chopin et conclut avec un sommet de virtuosité, Islamey de Balakirev. Un feu d’artifice digital, toutefois sans grandes surprises.
Kang-Tae Kim, Sud-Coréen de 25 ans nous offre un moment de grand raffinement, avec un Chopin très élégant, au toucher subtil. Son Presto de Poulenc, sautillant et facétieux se distingue aussi par sa recherche de timbres et de couleurs. Sa Toccata de Ravel saisit dans sa montée dramatique spectaculaire. Sa prestation s’achève sur la très imagée « Tarentelle » de Venezia e Napoli de Liszt, dans lequel il caractérise chaque thème et déploie toute la puissance orchestrale de son jeu.
Le Sud-Coréen de 22 ans, Hyuk Lee s’impose par sa prestation flamboyante et très vivante. En particulier dans un tube avec lequel il met littéralement le public à genoux : la 2ème Rhapsodie Hongroise de Liszt (cadence de Marc-André Hamelin). Une fraîcheur, un naturel et une spontanéité se dégagent de son Tic Toc Choc de Couperin – il fait partie des rares candidats à avoir choisi cette pièce. Une vision très dansante et entraînante, tout comme dans la Toccata de Ravel avec laquelle il swingue littéralement. Sa joie très communicative et sa parfaite maîtrise de l’instrument en font un candidat idéal pour le prix du public.
La Japonais Gen Tomuro, doyen des candidats âgé de 33 ans, lui succède dans une prestation de belle tenue. Si on peut regretter quelques petits maniérismes dans Chopin et Rameau, il défend avec panache la Valse de Ravel, lui donnant sa dimension symphonique, sans en faire un pur numéro de virtuosité.
Le Bulgare de 27 ans Peter Dimov se disqualifie hélas rapidement avec un jeu confus et maladroit dans Rameau, Ravel et Chopin et sans interpréter la totalité du programme prévu.
La journée s’achève avec Jaeyoung Lee, Sud-Coréen de 27 ans. S’il démontre une belle envergure sonore, avec une riche palette de nuances, l’irrégularité – ralentis exagérés, accélérations soudaines… – lors de son interprétation de la 2ème Sonate et la 1ère Ballade de Chopin nuit au discours d’ensemble qui est parfois un peu noyé.
Rendez-vous demain à 11h Salle Cortot pour le 3ème et dernier jour des éliminatoires.