13 novembre 2022

Finale

Ce dimanche matin, l’anticipation parcourt le Théâtre du Châtelet où les six finalistes du Concours Long-Thibaud entament la dernière étape de leur parcours parisien. Le très grand niveau de cette édition promet une journée d’exception à l’issue de laquelle les prix seront annoncés. Devant un public chaleureux, l’Orchestre symphonique de la Garde Républicaine, dirigé par François Boulanger, s’apprête à traverser les chefs-d’œuvre concertants de Tchaïkovski, Rachmaninov, Prokofiev et Saint-Saëns.

Un Tchaïkovski fracassant et plein d’assurance par le japonais Kotaro Shigemori ouvre le bal. On sent que le pianiste de 22 ans connaît l’enjeu de cet exercice dans lequel il place haut la technique et la stabilité, guidant l’orchestre dans une chorégraphie virtuose où la brillance joue un rôle primordial. La grande sûreté du candidat impressionne dans ce tour de force, livré d’un élan athlétique avec étonnant aplomb. Son discours, marqué par une clarté sans ombre, révèle une interprétation infaillible et maîtrisée jusqu’aux derniers détails. Ce qui retient parfois un deuxième mouvement scolaire, où le dialogue chambriste entre soliste et orchestre ne s’approfondit pas. Toutefois, il faut saluer le panache du candidat qui se lance dans un dernier sprint d’octaves aux applaudissements du public.

C’est tout le contraire dans la traversée discrète de Yiming Guo, lequel se montre d’emblée moins à l’aise devant un orchestre qu’en récital. Ce jeune Chinois de 20 ans qui nous a intrigué lors de son récital envoûtant en demi-finale imagine le 3e de Rachmaninov telle une exploration confidentielle, renonçant aux gestes spectaculaires préférés par son concurrent pour défendre une limpidité de textures et une forte retenue. La prudence tient son interprétation en laisse, le pianiste n’osant pas s’affirmer dans les échanges passionnés avec l’orchestre et se trouvant parfois déstabilisé par ce dernier. Toutefois, il possède un toucher élégant, admirable dans sa subtilité et sobriété, qui se montre aussi virtuose dans un finale habité.

Temps fort de cette matinée, le Tchaïkovski de Michael Davidman enflamme et emporte. Le pianiste new-yorkais issu de la prestigieuse Juilliard School tient à lui seul l’immense concerto, soufflant griserie et vitalité dans un premier mouvement exceptionnel dont la réflexion et l’originalité du discours subjuguent. Son jeu, capable d’une richesse de caractères et de nuances, dramatise l’œuvre, soufflant noirceur, malice, romantisme et fantaisie dans un 2e mouvement féerique. Maître d’un piano vif-argent, parfois provocateur, le candidat commande une certaine autorité avec l’orchestre, laissant cours libre à son jeu explosif qui préserve aussi le sens de l’œuvre. Reste à voir si ses quelques erreurs dans le 3e mouvement s’avéreront déterminantes.

L’après-midi voit le Sud-Coréen Hyuk Lee, actuellement élève à l’École normale de musique, séduire le public avec un 2e de Prokofiev époustouflant. Ce pianiste aux moyens faramineux s’attelle à cette œuvre gargantuesque avec tempérament, soulignant d’emblée une ampleur sonore dans son toucher qui supplante nettement celle de l’orchestre. Plus symphonie que concerto, le 2e de Prokofiev est un véritable graal du répertoire concertant dont les exigences musicales et techniques sont admirablement assumées par le pianiste de 22 ans. La gravité du discours s’annonce dès le 1er mouvement, lequel manque toutefois un brin de mystère, le pianiste préférant des résonances impressionnantes pour déployer une force narrative. C’est dans les 3e et 4e mouvements du concerto que le candidat saisit brillamment la veine cataclysmique de ces pages, évoquant tragédie et ironie jusqu’à la culmination tempétueuse.

Masaya Kamei, Japonais de 20 ans, enchante dans son interprétation colorée du 5e concerto de Saint-Saëns. Sa présence est électrisante, le pianiste possédant une aura sans artifices. Devant une œuvre dont la virtuosité peut paraître superficielle au premier abord, le pianiste dévoile un jeu qui ne cesse de surprendre, apportant une vitalité très extravertie aux envolées raffinées du 1er mouvement. La complexité de cet artiste devient plus évidente dans un 2e mouvement plein d’esprit et d’audace dont l’inventivité de couleurs est soulignée par un candidat qui ne veut pas adhérer à un simple pastiche d’exotisme. C’est le seul dont l’affinité avec l’orchestre est remarquable, le pianiste faisant oublier les enjeux du concours pour s’emparer de la fébrilité de la scène, osant de pousser l’orchestre dans un dernier mouvement fulgurant.

Pour la troisième fois de la journée, l’orchestre se lance dans l’énoncé solennel du 1er de Tchaïkovski où le dernier finaliste, Heeseong Noh, propose sa vision intime et remarquablement éloquente du concerto. Le Sud-Coréen de 24 ans et élève à la Mozarteum de Salzbourg surprend par une interprétation d’un admirable équilibre, version qui se distingue d’emblée de la fougue des précédents candidats. Un toucher cantabile, qui transforme Tchaïkovski en Chopin, révèle aussi une palette scintillante qui apporte une élégance et légèreté à la densité de l’œuvre. Quelques petites faiblesses de technique se font entendre, mais le candidat impressionne par sa grande musicalité, menant à clos cette journée exceptionnelle.

Palmarès

1er prix ex-æquo : Masaya KAMEI et Hyuk LEE
3e prix : Michael DAVIDMAN
4e prix : Kotaro SHIGEMORI
5e prix : Heeseong NOH
6e prix : Yiming GUO

Prix spéciaux

Prix de la presse : Masaya KAMEI
Prix du public : Masaya KAMEI
Prix de l’orchestre : Michael DAVIDMAN
Prix de révélation : Valère BURNON