Si la mort n’était venue se rappeler à son mauvais souvenir le 29 janvier, Gabriel Tacchino aurait fêté son quatre-vingt dixième anniversaire le 4 août. On avait fini par le croire immortel tant il avait gardé intacte son allure de quadragénaire souriant jusqu’à ce que la maladie et des soucis personnels le rattrapent depuis une dizaine d’années. Homme sympathique, confrère bienveillant, musicien sérieux et dévoué à son art, ennemi des faux-semblants il était respecté et aimé, bien que pas toujours considéré à sa juste place, par les musiciens.
À peine âgé de 20 ans, Tacchino avait remporté des grands concours internationaux – Viotti, Busoni, Casella – et surtout avait été remarqué par Francis Poulenc à qui son professeur Jacques Février l’avait présenté. Tacchino sera le seul élève du compositeur, admirable pianiste lui-même, qui lui aura donné les bons conseils pour interpréter sa musique que Tacchino enregistrera d’ailleurs.
Ce début de carrière sera éclatant : quel pianiste français ira enregistrer le Concerto n°3 de Beethoven, à Berlin avec André Cluytens ? Quel pianiste français, avant Jean-Bernard Pommier puis François René Duchâble, sera invité par Karajan ?

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Car loin de se limiter à la musique française, Tacchino sera l’interprète du grand répertoire romantique qu’il donnera en concerts avec les plus grands chefs de son temps, partout en Europe. Néanmoins, sa carrière ralentira peu à peu à partir des années 1970 pour des raisons toujours difficiles à comprendre si ce n’est qu’il deviendra professeur. Néanmoins il continuera de jouer et d’enregistrer seul ou avec Jacques Février ou Bruno Tacchino à quatre mains et deux pianos. Il laisse un magnifique et méconnu enregistrement de Gaspard de la nuit de Ravel et de non moins splendides disques en quintette (Franck, Dvorak), des intégrales des concertos de Saint-Saëns et de Prokofiev avec Louis de Froment accessibles sur les plate-formes de streaming.
Au Conservatoire de Paris, Bruno Tacchino, de 1975 à 1994, aura une très belle classe de piano dont celui qui lui a succédé – Jean-François Heisser –, dira qu’il y avait trouvé des étudiants très bien formés par un maître exigeant et respectueux de la personnalité de ses élèves, ce qui n’était pas aussi fréquent que cela à cette époque. Tacchino donnera aussi de nombreux cours de maîtres au Japon, au Canada et aura une classe de perfectionnement à la Schola Cantorum, à Paris.