C’est un Canadien de 17 ans, Kevin Chen, qui a remporté le 76e Concours de Genève, le 3 novembre, en s’imposant en finale face à son principal rival, le Russe Sergey Belyavsky.
Cette 76 édition, qui s’est tenue du 26 octobre au 3 novembre, se voulait innovante, en proposant des épreuves vidéo, des demi-finales en plusieurs parties, mais imposait surtout aux candidats à l’issue du premier tour la présentation d’un projet personnel exprimant leur vision de la musique, à réaliser dans les deux années suivant l’obtention d’un prix. Au terme d’une belle finale, qui opposait quatre jeunes artistes, parmi les trente-six concurrents de départ, c’est également aux deux premiers que furent attribués l’ensemble des prix spéciaux, confirmant leur nette domination sur les deux autres finalistes, la Japonaise Kaoruko Igarashi et le Chinois Zijian Wei, qui se partagèrent le troisième prix. Sur la scène du Victoria Hall, l’excellent Orchestre de la Suisse romande, sous la baguette éclairée de Marzena Diakun, fit état d’une remarquable réactivité en se montrant particulièrement attentif aux concurrents qui présentaient trois concertos signés Liszt, Prokofiev et Chopin.
Zijian Wei ouvrit le bal avec le Premier concerto de Liszt, démontrant un jeu puissant et engagé aux forts parfums rhapsodiques, mais souvent maniéré, d’un style décousu manquant d’unité comme de cohérence. Le Troisième de Prokofiev, sous les doigts de Kaoruko Igarashi parut ensuite d’une grande sobriété. Son jeu lisible, sensible et sans esbroufe, s’avéra néanmoins trop économe de contrastes pour rendre pleinement justice à l’œuvre.
Le poète et le conquérant

Crédit photo : Anne-Laure Lechat
Kaoruko Igarashi et Zijian Wei,3e prix ex aequo, entourent le vainqueur et son dauphin.
Après l’entracte, la seconde partie fut nettement plus captivante. Kevin Chen offrit un Premier concerto de Chopin d’un romantisme fin et de bon goût. Par un lyrisme délicat, jamais péremptoire, il fit état d’une véritable maturité poétique, alliant fraîcheur et tendresse dans le mouvement lent, privilégiant toujours la ligne de chant, y compris dans les passages virtuoses du finale. Parfaitement maître d’un discours posé et plein de charme – à qui ne manquait qu’un brin de panache pour être irrésistible –, le jeune prodige canadien soulevait l’enthousiasme de la salle. C’est au Russe Sergey Belyavsky qu’il revenait de conclure la soirée. Imaginatif, fort d’une vaste palette de couleurs et d’attaques, comme d’une virtuosité étourdissante, il livra une interprétation, cette fois-ci enfin volcanique, du Troisième concerto de Prokofiev. En soulignant la dynamique sauvage de la partition, il sut lui donner sa véritable dimension de conte fantastique, en transmettant son inépuisable énergie à l’orchestre, galvanisé par son influx. L’accueil du public fut à la hauteur ! Mais aux yeux et aux oreilles des juges, la poésie du jeune Canadien – déjà victorieux de plusieurs prix internationaux et lui-même compositeur fécond – eut raison du fort tempérament du Russe, qui dut se contenter du second prix. Janina Fialkowska, la présidente du jury entourée de ses partenaires (Till Fellner, Florent Boffard, Josu de Solaun, Momo Kodama, Marianna Shirinyan et Gilles Vonsattel), tint à souligner le niveau exceptionnel de cette édition, enrichissant d’un nouvel épisode l’histoire prestigieuse de ce concours, qui vit s’illustrer en leur temps certains grands noms de l’histoire moderne du piano, Arturo Benedetti Michelangeli, Friedrich Gulda, Martha Argerich, Maurizio Pollini ou encore Nelson Goerner. Souhaitons donc à Kevin Chen de connaître le destin de ses glorieux aînés.