Le Palazzetto Bru Zane met à l’honneur les oubliées du romantisme français, comme Mel Bonis, Rita Strohl ou Juliette Dillon…
Le 1er avril, à Venise.
Depuis l’avion, la ville de Venise semble tenir dans le creux de la main. Enroulée autour du Grand Canal en forme de serpent nonchalant, elle fait penser aux fossiles millénaires qui se distinguent sur les marbres précédant la monumentale entrée du Palazzo Pisani, siège de l’actuel conservatoire Benedetto Marcello. Une splendide bâtisse qui n’a pas résisté aux humeurs de la lagune et aux spoliations mais dont la visite mérite le détour, rien que pour sa spectaculaire terrasse panoramique depuis laquelle on distingue, dans un ciel de campaniles, toute l’étendue de la Sérénissime. Et au loin, le quartier de San Polo, épicentre de la musique romantique, grâce au Palazzetto Bru Zane qui exhume depuis près de quinze ans les pièces oubliées du patrimoine musical français.

Crédit photo : Elsa Fottorino
Aux premières heures du printemps, le Palazzetto rassemble le public vénitien autour des compositrices au tournant du XXe siècle, qui se distinguent par leurs esthétiques et personnalités singulières. La note d’intention précise les ambitions de l’événement : « En présentant ces nouveaux modèles du passé, nous espérons participer à la construction d’un avenir plus juste et varié. » Au-delà de sa dimension artistique et patrimoniale, le centre de musique romantique française entend ainsi prendre sa place au cœur des enjeux contemporains de la société. Dans la Scuola Grande San Giovanni Evangelista, comble en ce samedi d’avril, le musicologue Alexandre Dratwicki, directeur du Palazzetto, rappelle sa démarche avant le début du concert. Rassembler des compositrices pourrait paraître « anti-féministe », mais ce concert n’a pas pour but de mettre en avant un prétendu « style féminin ». Au contraire, il s’agit de distinguer « les spécificités de chacune », précise-t-il sous l’œil attentif d’un public venu en nombre, parmi lequel on compte quelques invités de marque, comme le footballeur Lilian Thuram.
Première pièce du programme qui rassemble des figures de la Belle Époque, Solitude, de Rita Strohl. Cette page pour violoncelle et piano se distingue par sa puissance mélodique. On retient le long souffle plaintif du violoncelle de Yan Levionnois, la finesse de ses phrasés, les intonations sensibles et poignantes du piano d’Adam Laloum. Un duo qui compose à merveille le paysage mélancolique de cette musique. L’altiste Lise Berthaud rejoint Adam Laloum pour interpréter tout en souplesse la Fantaisie pour alto et piano d’Hélène Fleury, second Grand Prix de Rome en 1904. Une partition aux accents slaves, et à la thématique entêtante. Yann Levionnois et le violoniste Pierre Fouchenneret retrouvent le pianiste pour le Trio en la mineur de Charlotte Sohy dont les harmonies évoquent d’emblée le Quatuor de Ravel.
Les cordes déploient avec grâce de longs phrasés mélodiques, accompagnés par un piano aux ondulations liquides. Toujours aux côtés d’Adam Laloum, on appréciera également le violoniste dans la poésie fugace et pleine d’oxymores de la pièce D’un matin de printemps de Lili Boulanger, où la joie primesautière est aussi fragile qu’une feuille qu’on déchire. Les quatre interprètes se réunissent pour nous faire découvrir le premier Quatuor avec piano de Mel Bonis avant de conclure en beauté sur celui de Rita Strohl (mouvement lent) à l’irrésistible lyrisme.