Félix Dalban-Moreynas

« J’ai obtenu un poste à Lorient »

« Ma sortie du Conservatoire supérieur s’est faite en deux étapes. En juin 2019, j’ai fini le master de piano à Lyon. Un an après, j’y validais le CA1, la voie la plus professionnalisante qu’il y ait dans un CNSM selon moi. Certains attendent plusieurs années pour le passer. J’avais anticipé. La formation s’est terminée à distance. J’ai réalisé ma soutenance de mémoire devant des universitaires et des directeurs de conservatoire.

Le thème des journées d’étude était « être artiste-enseignant aujourd’hui ». Dès mars 2020, je candidatais à plusieurs annonces. J’ai obtenu un poste à Lorient. Je m’en sors bien. Avant cela, j’enseignais en parallèle du conservatoire, dans une école de musique. J’appréhendais d’y rester avec la crise sanitaire. On y est payé en fonction du nombre d’heures, donc du nombre d’élèves. Allaient-ils se réinscrire en septembre ? À Lorient, je suis rémunéré en fixe, il y a même des listes d’attente ! Il faut dire qu’en piano on peut compter sur un bon vivier d’élèves. De septembre aux vacances d’octobre, j’ai pu donner mes cours en présentiel.

Puis, pendant le deuxième confinement, je ne pouvais voir que mes élèves en 3e cycle. Enfin, depuis mi-décembre, je les revois tous, sauf les adultes qui ne sont pas prioritaires. Pour les concerts, c’est compliqué, déjà à la base en sortant du CNSM. Il faut trouver des techniques de démarchage: tout un apprentissage à faire. En plus, avec la pandémie, de nombreuses programmations sont bloquées. Beaucoup de concerts, annulés l’année dernière, ont été reportés à cette année. Plus difficile donc, pour de jeunes entrants, de se faire une place. »

Crédit photo : SDP

Luc Redor

« J’ai monté l’“Hammerklavier”. C’est cela qui fait tenir »

« En sortant du CNSM en 2019, je souhaitais me lancer dans les concours. Je m’étais donné quelques mois de préparation. Le temps de poser les choses, de laisser décanter. Premier concours prévu: celui de Brême, en mars 2020. Il a été reporté à juillet 2021. J’ai changé à peu près tout mon programme initialement prévu. Déjà, pour moi, comme pour beaucoup, le début du premier confinement a été dur au niveau du travail. Un tel événement, une telle masse d’informations… Continuer comme d’habitude, c’était compliqué.

Alors, j’en ai profité pour monter des pièces qui demandent du temps et qu’avec trop d’échéances, je n’aurais pu préparer. Comme, par exemple, la Sonate “Hammerklavier” de Beethoven. C’est le contact avec ce genre d’œuvres qui fait tenir quand on a moins de concerts, qu’on se questionne sur le sens du métier. J’ai parfois retrouvé la sensation de travailler une pièce pour le plaisir. Jouer sans but, c’est extrêmement rare : peut-être l’occasion de revenir à une démarche artistique première. En 2020, j’avais le projet de donner l’intégrale des sonates pour violon et piano de Beethoven, avec une amie de l’Orchestre national de Bordeaux. Cela n’a pu avoir lieu. Les rodages chez des particuliers, si pratiques pour tester des programmes ? Plus envisageables.

Toutefois, en septembre, j’ai rejoint Êkheìa, un ensemble de création contemporaine soutenu par le Centre national de création musicale
de Lyon. On a pu jouer en octobre. La session de décembre a été annulée. Mais, en mars, on a enregistré des créations. J’espère défendre bientôt en récital ce que j’ai pu travailler. Il va falloir reprendre. Encore faut-il des occasions. Sur qui miseront les organisateurs de concerts pour assurer leurs recettes ? Il existait déjà un phénomène de “starisation” pour remplir les salles. J’ai peur que cela s’accentue. Quand on y ajoute les reports de l’année dernière, les futurs nouveaux entrants… Une génération ne risque-t-elle pas d’avoir moins d’opportunités ? »

Chiko Miyagawa

« On a produit des vidéos Youtube en famille »

La pandémie a-t-elle précipité votre retour à Tokyo ?
Ce n’est pas la seule raison. Il y a quelques années, j’ai tenté d’obtenir le poste de pianiste à l’Orchestre national de Lyon. Nous étions quatre en finale. Je n’ai pas été retenue. Alors, à la fin de mes études au CNSM de Lyon, j’ai tenté le 3e cycle de Paris en septembre dernier : au programme, Stockhausen et Petrouchka, de tête. À côté de la salle, des travaux au marteaupiqueur, beaucoup d’accidents dans mon jeu ! Je n’ai pas été prise. Mes études étaient finies, mes concerts en France, annulés, j’avais des projets au Japon… Pourquoi ne pas rentrer ?

Au concours d’Orléans en octobre, vous avez été primée. ll avait été décalé. Comment gère-t-on ?
Il devait avoir lieu en avril 2020. Juste après, j’avais un concert au Japon, puis, en mai, le concours de musique de chambre d’Osaka, finalement reporté en 2021. Et enfin, en juin, mon prix d’accompagnement à Lyon. Sans nouvelle d’Orléans, j’ai acheté un billet pour le Japon. Ensuite, le concours a d’abord été annulé, puis reporté deux semaines après celui du 3e cycle de Paris… Tous ces changements, mentalement, c’est difficile.

Votre partenaire pour Osaka participe au Concours Chopin…
Ses sélections d’avril ont été décalées à juillet prochain. Le premier tour débutera normalement en octobre. À notre dernière répétition, inquiète, je lui ai demandé comment il s’en sortait. Bien, visiblement, il a plus de temps pour préparer !

Vous travaillez beaucoup en famille…
Mon père dirige, compose et joue du piano. Ma sœur chante, danse et filme, elle a étudié à New York. Mon frère est ingénieur du son. Pendant la pandémie, on a produit des vidéos YouTube, pour toucher aussi un public non mélomane, ce qui m’importe beaucoup. Et j’ai monté avec ma sœur une comédie musicale…

Les concerts ont-ils repris au Japon ?
Depuis que je suis rentrée, j’ai pu jouer à plusieurs occasions. Avec et sans masque. Il y a du public même si les jauges sont souvent réduites de moitié. J’écris beaucoup d’arrangements pour deux pianos : beaucoup de possibilités de répertoire et on respecte les distances en remplaçant l’orchestre. Pratique!

Propos recueillis par Rémi Bétermier

Crédit photo : Didier Depoorter