Le compositeur tchèque a écrit un cycle de miniatures d’une poésie poignante que les éditions Henle nous proposent dans leur intégralité.

Si Leoš Janáček a peu écrit pour le piano, préférant la voix et l’orchestre, la poignée d’œuvres consacrées à l’instrument seul sont parmi les plus poétiques de son catalogue. La maison Henle accorde une belle édition à l’une des œuvres les plus célèbres, Sur un sentier recouvert, cycle provenant de la période foisonnante entre 1900 et 1912 où la quasi-totalité de son œuvre pour piano a vu le jour.

Un recueil de 15 miniatures

À travers les recherches du spécialiste Jiří Zahrádka, nous découvrons l’histoire fascinante de ce recueil de quinze miniatures dont les origines remontent jusqu’en 1897 sous forme de mélodies moraves arrangées pour harmonium. Au fil des années, Janáček étoffe sa collection modeste, confère aux pièces une nouvelle identité qui n’est plus celle des simples arrangements, les imagine pour le piano.

En 1908, un premier tome de dix pièces s’achève mais ne sera publié qu’en 1911. Année où le compositeur entame une deuxième série qu’il abandonne pour des raisons inconnues. L’édition d’Henle reste fidèle aux souhaits du compositeur, distinguant pièces éditées et inédites tout en nous offrant l’intégralité de la matière appartenant à ce chef-d’œuvre.

L’ombre d’une tragédie

Ceux qui connaissent l’autre chef-d’œuvre pianistique de Janáček, sa bouleversante Sonate 1.X.1905, décèleront d’emblée la douleur sous-entendue parcourant Sur un sentier recouvert, partition qui fait, elle aussi, référence à la tragédie – la mort de sa fille Olga, rendue encore plus insoutenable par la disparition de son fils quelques années auparavant.

À ces quinze miniatures qui parviennent à décrire les sentiments les plus profonds, le compositeur confie « des souvenirs lointains [qui] me sont si chers que je ne peux imaginer les oublier un jour… Entendez-vous des sanglots dans l’avant-dernière pièce ? La prémonition d’une morte certaine ». Malgré la souffrance aiguë qui a marqué sa vie, c’est à travers un lyrisme poignant que l’auteur s’exprime, mêlant dissonances violentes et mélodies oniriques dans ces pages imagées et aux titres évocateurs  : Une feuille emportée, Bonne nuit ! ou En pleursPartout, des images jaillissent – l’ambiance éphémère du soir, le cri inquiétant d’une chouette, les visages innocents et sinistres du sommeil.

Partout, la voix humaine

Comme dans toute l’œuvre de Janáček, la voix humaine est palpable dans les intonations et rythmes des mélodies empruntées au folklore et entourées de mystère et de spiritualité. 

Quatrième pièce du premier tome, La Vierge de Frýdek met en lumière ce langage singulier, évoquant le chant d’un cortège lointain sur fond de textures brumeuses et de jeux de résonances effectués par la main gauche. Tout au long du morceau, les contours fluides du thème sont ponctués par un choral dont la tranquillité liminaire se livre à une angoisse terrible, traduite par des accords heurtés, avant que la consolation ne revienne.

Bien que les pièces du deuxième tome ne portent aucun titre, l’évocation est tout aussi puissante dans les harmonies troublantes et une conduite rythmique encore plus imaginative et libre.

De plus en plus au programme des concerts

Par bonheur, cet opus s’inscrit depuis peu dans des programmes de concert et séduit même des pianistes amateurs, enchantés par une écriture qui rend accessible l’univers saisissant de Janáček. Cette édition nous laisse aussi un souvenir précieux, celui du regretté Lars Vogt, qui a contribué par ses propres doigtés à cette partition qu’il a tant aimée et défendue.