Lors de sa nouvelle édition, le Festival d’Aix-en-Provence consacre un « portrait » en trois volets à Kirill Gerstein, l’éclectique pianiste russo-américain. Rencontre.
Pour votre résidence au Festival d’Aix, vous avez imaginé UN programme dont la diversité souligne les multiples facettes de votre carrière. Entre musique de chambre, soirée cabaret et concerto n° 3 de Rachmaninov…
Les différents styles de musique m’ont toujours intéressé, ce qui a nourri une envie de ne jamais m’enfermer dans une boîte sur laquelle on poserait l’étiquette d’un mozartien ou d’un spécialiste de musique contemporaine. La musique, que ce soit du jazz ou du classique, du Bach ou du Thomas Adès, revient à un même ensemble d’idées fondamentales. Ce serait étrange de dire que l’on ne lit que des romans du XIXe siècle ou que des poèmes du XVIIIe !

Kirill Gerstein
Crédit photo : Marco Borggreve
Qu’avez-vous envie d’apporter au public à travers cette programmation ?
Notre rôle est comme celui d’un commissaire d’exposition qui juxtapose un Rembrandt et un Klimt ou un Picasso et un Michel-Ange. De la même manière, un auditeur pourra déceler lui aussi les résonances entre des langages musicaux différents. Il s’apercevra peut-être que la musique de Ligeti est ancrée dans la tradition classique, quoique vêtue différemment, tandis que des œuvres plus anciennes abritent des idées très novatrices. En voulant proposer un programme au-delà de l’ordinaire, nous imaginons ainsi des constellations qui pourraient intéresser le public et qui mettent en lumière cette panoplie de styles.
Qu’en est-il de Rachmaninov, compositeur tant aimé par le public et dont vous interpréterez l’iconique concerto n° 3 ?
Sa musique avait été fortement sous-estimée par des critiques des deux côtés de l’Atlantique. Par bonheur, les choses ont changé depuis quelques décennies. Rachmaninov n’était pas le moderniste voulu par son époque mais il était moderne dans sa façon de réagir aux paysages changeants de son monde. Et de le réconcilier avec celui en train de s’éteindre. C’est une lutte perpétuelle, tout aussi présente dans notre actualité et qui rend d’autant plus pertinente sa musique, qui me frappe par son opulence, son expressivité explosive et sa rigueur artistique.

Théâtre de l’Archevêché, Aix-en-Provence
Crédit photo : Festival d’Aix en Provence
Vincent Pontet
Dans une tout autre veine, vous signez avec HK Gruber une étonnante soirée cabaret…
L’opéra et le théâtre étant au cœur du Festival d’Aix, cela me semblait le contexte idéal pour mettre en scène une curieuse œuvre d’Alexander von Zemlinsky, son mimodrame Ein Lichtstrahl. L’idée a d’emblée séduit Pierre Audi, le directeur du festival, et nous a amenés à construire tout un programme cabaret comprenant aussi des chansons de Hanns Eisler et de Kurt Weill, dont L’Opéra de quat’sous sera donné au festival. De plus, ce sera l’occasion de renouveler ma collaboration avec le phénoménal chansonnier HK Gruber, véritable héritier de cette tradition ! Et de sortir des stéréotypes de soirées en smoking pour montrer que la musique classique offre bien plus que cela !
Parlez-nous de votre projet en tant que directeur de l’Académie qui accueillera neuf jeunes artistes cette année…
Le répertoire, cette bibliothèque musicale merveilleuse que nous détenons, est notre point de départ. L’idée est de travailler intensément sur une liste d’œuvres chambristes importantes – le quintette de Schumann, celui pour piano et vents de Beethoven, l’octuor de Schubert –, mais aussi d’allier le métier d’élève et celui de musicien professionnel. Pour moi, étudier la musique n’est qu’une façon d’étudier la vie. L’apprentissage d’un instrument est une leçon d’amour, de déontologie, de discipline. Nous apprenons à formuler nos réactions selon le contexte, chose essentielle que ce soit dans la musique ou dans la vie.
Pour plus d’informations
Festival d’Aix-en-Provence, du 4 au 24 juillet.
festival-aix.com