Jeux d’eau à la Villa d’Este
Franz Liszt
Dans les jardins de la Villa d’Este, les fontaines et bassins s’habillent de lumière. Néanmoins, loin de leur surface irisée, la facétie de leurs clapotis dissimule une clarté plus profonde et primordiale.
Cette clarté, c’est avant tout celle d’une mémoire, la mémoire d’un amour. C’est en l’hommage de Marie d’Agoult que Liszt compose Les Jeux d’eau de la Villa d’Este, quatrième pièce de la Troisième année de pèlerinage. Les merveilles de ces jardins de Tivoli, près de Rome, courent sous les doigts du musicien. Les arpèges offrent de délicieuses couleurs sonores. La tonalité rayonnante en fa dièse accompagne le plaisir de ces promenades italiennes.
Mais c’est dans l’ombre douce que Liszt conduit bientôt la mélodie qui s’apaise en quelques accords que le piano balaie comme le ferait une harpe. La partition indique : « Sed aqua quam ego dabo ei, fiet in eo fons aquae salientis in vitam aeternam » (« Et l’eau que je lui donnerai deviendra en lui source d’eau qui jaillira jusque dans la vie éternelle », Évangile selon Saint Jean). Ainsi, tandis que le finale semble nous reconduire aux jardins, les accords sans ornements ont gardé l’empreinte mystique d’une eau vive.

Jeux d’eau
Maurice Ravel
L’eau pure et fraîche rit au printemps. Ses cascades ont une gaieté bruyante, sa musique est cristalline et bruissante. Le ruisseau parle le langage puéril de l’enfant, ses sonorités sont les gazouillis de la nature. L’onde, comme un babil, ne peut pas dire; elle suggère. Rien de plus ravissant que l’esthétique aquatique pour un compositeur impressionniste. Ravel s’inspire des bruits des ruisseaux et de leurs cascades pour représenter des images, des souvenirs, des allusions. Les Jeux d’eau nous font entendre le « Dieu fluvial riant de l’eau qui le chatouille » (Henri de Régnier, La Cité des eaux, cité en épigraphe de la partition) à travers les éclaboussures des triples croches et une virtuosité tant éblouissante que redoutable.
Ravel dédie cette œuvre de 1901 à son maître Fauré. Malgré ses nombreuses influences, le compositeur, comme le fleuve, « demeure jalousement insaisissable derrière tous ces masques » (Vladimir Jankélévitch dans son Ravel). C’est là, dissimulé, que le chant antique du dieu orphique pacifie les monstres et apprivoise les fauves. En des rythmes indomptables, des tonalités rebelles, cette pièce novatrice convertit une technique titanesque à la douceur de l’humain.