Depuis des mois, le monde de la musique classique souffre de la pandémie et réclame des soins d’urgence au gouvernement qui les lui délivre au compte-gouttes. Le point sur les maux du secteur et les remèdes pour le sauver.

Mobilisation d’ampleur dans le milieu classique après l’annonce d’une aide gouvernementale conséquente adressée à l’industrie de la musique. Dans une tribune parue le 29 septembre dans La Lettre du musicien et initiée par la FEVIS (Fédération des ensembles vocaux et instrumentaux spécialisés), de nombreuses personnalités de la musique classique ont exprimé leur indignation en apprenant que leur secteur était exclu de ce programme d’aide. Programmateurs, salles et festivals classiques indépendants ne bénéficieraient en effet pas du mécanisme de compensation des pertes de billetterie, supposé combler le manque à gagner induit par la réduction des jauges. Cette mise à l’écart a laissé les professionnels du classique « abasourdis » car elle « revient à inciter les salles à transférer les pertes sur les artistes et leurs employeurs, et, in fine, à amener ces derniers à engager des plans sociaux ». Alors que le secteur a subi une perte de 50 % du chiffre d’affaires de 2020 et que les années 2021 et 2022 menacent d’être tout aussi catastrophiques, les représentants de la musique classique indépendante sont montés au créneau.

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Incompréhension
Reçue par la ministre de la Culture Roselyne Bachelot, une délégation composée du directeur et du délégué général de la FEVIS ainsi que de représentants des ensembles français a fait part de l’angoisse et de l’incompréhension de l’industrie du classique. « Il s’agissait également de rappeler le mode de fonctionnement particulier de ces ensembles, leur flexibilité, leur force mais aussi leur fragilité, explique Louis Presset, délégué général de la FEVIS. Nous avons été entendus. La ministre nous a assuré que nous n’étions pas oubliés, et que des mesures d’urgence allaient être mises en place. »

En l’occurrence, une aide de 2 millions, débloquée par le Centre national de la musique, et la garantie de bénéficier d’une partie du fonds d’urgence de 30 millions destiné à la musique en général. « Évidemment, ce n’est pas suffisant pour s’en sortir, tempère Louis Presset. Les 2 millions sont assez anecdotiques, et nous craignons encore d’être oubliés par les Dracs qui sont chargées de répartir les 30 millions et qui tendent à privilégier les grands orchestres régionaux. C’est certes un pas dans la bonne direction, mais tout dépendra de la répartition. »

Signe encourageant toutefois, la ministre a également exprimé la volonté d’engager une réflexion avec les différents acteurs du classique sur une restructuration à long terme du secteur. « Il s’agirait de refonder conjointement les politiques publiques pour les ensembles indépendants, explique Louis Presset. Pour revoir leur statut et les intégrer dans les budgets annuels, et ce dès 2021, tout en prenant en compte des problématiques de fond, comme la réduction de l’empreinte carbone des ensembles. C’est une excellente initiative, mais bien évidemment, nous attendons encore des garanties concrètes, tant sur le plan des aides d’urgence que sur celui de la refonte structurelle. »

Si ces annonces semblent être un signe d’amélioration pour les ensembles indépendants, le sort des interprètes, lui, demeure incertain. Certains d’entre eux ont certes pu bénéficier de « l’année blanche » accordée aux intermittents ainsi que de l’aide temporaire de 1 000 euros mise en place par Audiens en partenariat avec le ministère de la Culture, mais beaucoup d’autres restent exclus de ces catégories et ne touchent aucune forme de compensation.

« Ce qui me frappe, c’est l’ignorance des dirigeants concernant notre métier de musicien, se désole le pianiste François-Frédéric Guy. L’image du saltimbanque à la limite de l’amateur persiste inconsciemment, surtout en France. Nos dirigeants ignorent comment nous sommes rémunérés ! » Les annulations de concerts, parfois même pour les deux années à venir, rendent leur situation particulièrement précaire. Certains interprètes perdent une partie substantielle de leurs revenus quand ils ne parviennent pas à toucher le chômage partiel pour les concerts et tournées annulés.

À cela s’ajoutent les réactions en chaîne : « Un concert annulé, c’est le chômage des techniciens, des attachés de presse, des agents artistiques qui licencient et menacent de fermer leur bureau et donc qui ne trouveront plus de concerts pour les artistes… Les conséquences sont incalculables, et les artistes sont au bout de la chaîne », rappelle François-Frédéric Guy.

À quoi bon les avoir sauvés avec l’intermittence s’il n’y a plus de structure pour leur fournir du travail ? Quant à ceux qui ont l’opportunité de maintenir une activité professionnelle, ils le font dans des conditions pour le moins drastiques : remplacement au pied levé d’artistes qui n’ont pu se déplacer, changement de programme pour s’adapter au protocole de sécurité, et surtout quarantaines et tests en batterie.

« Je reviens de deux semaines à Séoul en Corée, où j’ai joué dans un grand festival, témoigne le violoniste Svetlin Roussev. Quatorze jours extrêmement stricts, sans passer le seuil de la chambre d’hôtel, la nourriture déposée dans le couloir, des tests à plusieurs reprises… Mais je le fais volontiers parce que j’ai la chance de pouvoir jouer, contrairement à beaucoup de mes collègues. » Le violoniste regrette par ailleurs qu’aucune « exception culturelle » ne soit mise en place pour les artistes en tournée afin de faciliter leurs déplacements et les processus de dépistage, comme cela a pu être le cas pour des congrès ou des événements sportifs.

« On sait bien que la culture en France rapporte beaucoup plus qu’elle ne coûte, rappelle le violoniste, et c’est effarant de constater à quel point le budget qui lui est consacré est mince. » « Nous attendons patiemment de voir, conclut François-Frédéric Guy, philosophe. Mais ce que je peux dire, au nom de tous mes collègues artistes indépendants, c’est que notre patience est arrivée à sa limite. »