À 24 ans, ce géant du clavier triomphait le 26 mars à l’Auditorium de Radio France. Le pianiste prodigieux n’en finit pas de nous éblouir par son intelligence, son humilité, sa maîtrise unique et profonde des textes et du chant secret de l’instrument. 

Alexandre Kantorow réunit à lui seul tout ce dont on peut rêver d’un pianiste. Le souffle sans l’emphase, la puissance sans la dureté, le raffinement sans l’affèterie et le panache sans l’esbroufe. Concentré mais sans tension, il subjugue par le naturel d’un propos qui coule de source, sans que rien jamais ne l’entrave. Simple dans sa posture, économe dans sa gestuelle, doué d’une technique transcendante qui semble ne lui demander aucun effort, là où d’autres luttent, il domine.

À la Première sonate de Schumann, aux mille thèmes enchevêtrés, au parcours si sinueux qu’on pourrait en perdre le fil, il redonne tout son sens, offrant une vision analytique autant que poétique du romantisme rebelle de cette page juvénile. Par des timbres subtils, menés jusqu’au silence, par des élans éruptifs qui ne brutalisent ni l’instrument ni le texte, le jeune pianiste français nous immerge dans le Liszt le plus pieux (Weinen, Klagen, Sorgen, Zagen), le plus sombre (La Lugubre Gondole), le plus passionnel (Sonnet de Pétrarque n°104) ou le plus démoniaque (Après une lecture de Dante). Comme il nous guide dans le Scriabine tardif le plus apocalyptique (Vers la flamme), « sans trembler lorsqu’il s’agit de s’engager un peu plus loin dans le délire mystique des partitions », confiait-il récemment.

Crédit photo : Sasha Gusov

Tout en fluidité, sans la moindre faiblesse digitale, ni une seule hésitation, Alexandre Kantorow maîtrise le temps, occupe l’espace et contrôle le son avec une évidence qui le rend unique. Unique, car déjà bien au delà du simple talent, il est entré de plain-pied dans le cercle très fermé des géants du clavier, capables de tous les défis, autant que de liberté ou d’abandon. De ceux qui ont une tête bien faite et pas seulement des doigts, de ceux qui ne cherchent pas l’éclat mais dont la culture s’entend à chaque pas, de ceux dont l’alchimie sonore envoûte, de ceux enfin dont l’humilité force le respect. Ce fut un triomphe, couronné par trois bis, de Gluck (Mélodie d’Orphée), de Stravinsky (finale de L’Oiseau de feu) et de Brahms (Seconde ballade). Magique !