Gould au volant, Mozart ancêtre de Proust, des pianistes manchots ou pythagoriciens… autant de figures passionnantes à (re)découvrir dans ces six ouvrages choisis par la rédaction.

Le déclic créatif de Yaron Herman

Fayard, 2020, 289 p., 20 €

Le Déclic créatif du pianiste franco-israélien de jazz Yaron Herman propose une méthode pour déployer sa créativité en contournant les contraintes et en modifiant son regard face aux difficultés qui empêchent l’accomplissement de soi. Certaines assertions peuvent faire sourire, comme celle sur la nécessité de fuir tout excès de rationalité et d’affronter les grands défis en prenant exemple sur l’auteur d’Anna Karénine : « Tolstoï avait treize enfants : cela ne l’a pas empêché d’écrire Guerre et Paix. »

Certes, mais l’écrivain russe était un richissime propriétaire terrien, laissant à sa femme et à ses domestiques la charge de ses enfants et les tâches bassement matérielles, réservant son temps pour l’écriture et le plaisir de mettre enceintes d’accortes petites soubrettes. On préférera les idées sur l’extension du domaine psychique par la force du mental, thèse prenant pour exemple un autre Russe illustre : « Un jour, on a demandé au célèbre pianiste classique Vladimir Horowitz : “Pourquoi êtes-vous le meilleur ?” Du haut de ses 80 ans, il a répondu : “Parce que j’entends la fin des notes”. Il voulait dire par là la résonance, le silence qui succède à la fin de la note. Il le visualisait. Notre capacité d’imagination, de visualisation, détermine la manière dont notre cerveau agit et se construit. »

Mozart de Jean-Victor Hocquard

Points Essais, nouvelle éd. 2021, 228 p., 8,30 €

Ayant passé toute sa vie en compagnie de Mozart, le musicologue Jean-Victor Hocquard sut en restituer toute la félicité dans une prose spirituelle sertie d’expressions rares et de tournures stylistiques ondoyantes qui en font tout le charme, à l’heure de la contraction du langage imposée par le numérique. Nous plongeons ainsi dans les « mansions » de la musique de Mozart, c’est-à-dire les étapes, les stations qui la jalonnent.

Mais ce texte est avant tout une analyse vive et percutante qui condense l’ensemble des connaissances acquises sur un compositeur qui chercha toute sa vie à atteindre une forme de sérénité équivalente au bonheur. En utilisant avec mesure toutes les techniques de son temps, Mozart créa une musique dont la pureté atteint une poésie quintessenciée. Pour en arriver là, il fusionna le langage thématique et son trouble développé par Haydn avec la quiétude du contre-point dérivé de Bach.

« Il ne voulait pas rejeter le thématisme, car c’eut été amputer la totalité psychique d’un de ses éléments constitutifs ; mais il entreprit de l’exorciser en le pliant à une structure contrapuntique. Or, à cela le vieux contrepoint des baroques ne pouvait lui servir. Il lui fallait se créer pour son propre usage un contrepoint à lui. Celui-ci n’est aucunement celui de Bach : il est d’une essence rare, tout à fait à part dans l’histoire de la musique. C’est un contrepoint chantant, d’où toute raideur mécanique est exclue, un contrepoint organique, mû par les pulsions du cœur. »

En réussissant une synthèse harmonieuse privilégiant l’ataraxie à la véhémence des passions, Mozart fait surgir une paix intérieure venant après un intense combat entre des forces antagonistes. Son art atteint ainsi de rares cimes où culminent de scintillants instants de pure poésie suspendant tout discours. Hocquard revient aussi sur la franc-maçonnerie de Mozart, liée au progressisme des Lumières. Dans un singulier état d’esprit, il cherche à présenter la femme comme une puissance en action, une idée qui trouvera son accomplissement dans La Flûte enchantée avec Pamina. Dans chaque œuvre, il s’agit pour ce créateur insatiable de se rapprocher de la sérénité, d’atteindre un bonheur libérateur des angoisses de la mort et des contradictions scindant la conscience.

La préface inédite d’Anne Queffélec à la nouvelle édition de cet essai synthétique éclaire le compositeur à l’aune de son expérience d’interprète expérimentée de son œuvre. La pianiste voit un lien entre l’univers mozartien et les aspirations à un temps restitué chez Proust. « Le temps musical a seul pouvoir d’être à la fois perdu et retrouvé. Et, avec Mozart, ce temps chante. »