C’est presque un cliché d’ouvrir un article sur Elisabeth Leonskaja en évoquant l’héritage de Richter. Pourtant, dans ce répertoire, la comparaison entre les visions tutélaires du maître et tout pianiste issu de la tradition russe s’impose. Ils sont peu à s’être frottés à ce Brahms de jeunesse : Berezovsky, Geniušas, Virssaladze, et bien sûr, Leonskaja, rare légende de sa lignée à présenter les trois sonates.
Ce 24 janvier, à la Philharmonie de Paris, dans les Sonates pour piano op. 1 & 2, elle n’essaye pas de s’approprier le Brahms chauffé à blanc, viril de Richter. Tout en conservant des dynamiques importantes et des arêtes en aucun cas lissées, ce que nous trouvons ici, c’est le piano de Leonskaja dans toute sa splendeur et son apparente simplicité. Les deux premiers mouvements de l’op.1 sont l’un des moments forts de ce récital. On y mesure l’ampleur d’un piano qui respire, brille et sonne large dans la Grande salle Pierre Boulez.
Dans l’op.2, l’Andante frappe par son dépouillement total sous les doigts de la pianiste. Avec la Sonate n° 3, Leonskaja revient vers une de ses oeuvres de prédilection. Le mouvement lent sera une synthèse de son art : spontanéité, immédiateté et naturel. Le chant passe par la simplicité, le refus d’imposer une théâtralité à l’auditeur. Les amateurs du Brahms tragique auraient aimé un andante molto encore plus apocalyptique. Mais contentons-nous avec passion de l’exceptionnel. Si la pianiste est capable de nous frapper par un piano spectaculaire et brillant, c’est par sa simplicité et sa générosité qu’elle s’impose. Voici ce que l’on emporte avec soi d’un récital de Leonskaja : un sentiment de sérieux, de noblesse, la certitude d’avoir écouté un récital qui nous élève.

Julia Wesely – Parlophone records LTD