Jean-Yves Clément brosse de sa plume érudite et passionnée le portrait croisé des deux musiciens.
Contemporains capitaux, romantiques fervents nés en 1810 et 1811, Chopin et Liszt furent amis et rivaux. Perçus aujourd’hui tous deux comme des grands compositeurs, il n’en fut pas toujours ainsi. Jean-Yves Clément dresse un portrait en miroir tout en finesse de ces âmes tourmentées, nuançant ce qui les rapproche et ce qui les oppose. Très vite, Chopin s’impose comme un créateur de génie qui se suffit à lui-même, maître du solipsisme visionnaire, puisant dans son intériorité toutes les ressources de son art. Liszt mettra beaucoup plus de temps à se trouver comme compositeur. S’affirmant tout d’abord comme un interprète virtuose, il invente le récital moderne où un pianiste unique joue son répertoire devant un vaste public alors qu’auparavant jamais un musicien ne jouait seul toute une soirée. À la mort de Chopin en 1849, Liszt se libère dans son écriture, aiguisé aussi par sa retraite loin des tournées frénétiques. Il rend hommage à son alter ego en écrivant un livre qui lui est consacré et parsème ses pièces d’échos de celles de l’ami disparu. Ce perpétuel chassé-croisé entre Chopin vivant auprès de Georges Sand parallèlement à la liaison de Liszt avec Marie d’Agoult est bien restitué par Jean-Yves Clément, auteur d’autant plus passionné par son sujet qu’il dirige les remarquables festivals Chopin et Liszt à Nohant et Châteauroux. On saisit ainsi clairement tout ce qui différencie un Chopin franco-polonais attaché à faire vivre par sa musique un idéal sublimé et chimérique de sa Pologne natale quand Liszt l’extraverti cherche à embrasser le monde entier et puise à la source de multiples poètes. Le compositeur des Mazurkas « invente une musique de l’instant » tandis que le créateur des Années de pèlerinage aime déployer et développer une narration. Chopin s’exprime dans un espace réduit où « le sentiment est comprimé à l’extrême, densifié, réinventant l’esprit de la miniature », quand Liszt bouscule les formes, pétrissant « une matière toujours en mouvement ».
Chopin et Liszt, la magnificence des contraires, Jean-Yves Clément, Premières Loges, 2021, 176 p., 18 €

Jean-Yves Clément,
Chopin et Liszt, la magnificence des contraires,
Premières Loges, 2021,
176 p., 18 €