Quand trois éminents médecins se penchent sur le cerveau de Ravel pour percer le secret de ses troubles moteurs, l’enquête promet d’être riche en indices qui éclairent autant sa biographie, sa musique que sa
« maladie singulière ».
Petit et fluet, souffreteux, atteint d’anémie chronique, insomniaque, le compositeur a passé sa vie à courir après une santé qui lui faisait défaut et a fait don de toute la vigueur dont il disposait à la musique. Les nombreuses pièces à convictions (reproductions de sa correspondance, dossier médical, etc.) fournies par Manuel Cornejo, président fondateur de l’Association des amis de Maurice Ravel, servent de supports aux trois auteurs pour analyser la lente dégradation de son état – à partir, entre autres, de son écriture. Dès 1931, des difficultés gestuelles, appelées « apraxie », rendent sa graphie pâteuse, irrégulière, aux mots raturés, oubliés puis rajoutés, jusqu’au point où, en 1933, il doit s’y prendre à plusieurs reprises pour écrire une lettre lisible, comme en témoignent les brouillons qui l’accompagnent, Ravel n’étant même plus en mesure de former les lettres.
Il en va de même pour son écriture musicale. En 1931, il parvient à peine à inscrire les notes sur ses partitions, se trompant ainsi d’une ligne pour la clé de sol sur la portée. Ce fut d’autant plus cruel pour le compositeur, puisqu’il conserva ses capacités intellectuelles intactes jusqu’à la fin de sa vie (il est mort à l’âge de 67 ans) et que son esprit continua à composer de futures pièces. C’est grâce à l’accès au dossier médical de son médecin, Théophile Ajouanine, que les trois spécialistes réussissent à établir le diagnostic
à peu près définitif de sa pathologie. Le compositeur souffrait sans aucun doute d’une maladie neurodégénérative très localisée dans le cerveau, entraînant une aphasie progressive. Il n’en reste pas moins fascinant de découvrir comment un homme à ce point handicapé a pu composer une musique si aérienne, avant-gardiste, éthérée et sensuelle…

Le Cerveau de Ravel, Bernard Lechevalier, Bernard Mercier, Fausto Viader, éditions Odile Jacob, 340 p., 23,90 €.