Sa modestie a bien failli le laisser dans l’ombre. mais, heureusement, son 1er prix au concours reine elisabeth de belgique 2021 A permis de mettre en lumière le talent éclatant de Jonathan Fournel.
Il a le contact simple et avenant. Cheveux ébouriffés et yeux rieurs. Dans une brasserie de la gare du Nord, le pianiste mosellan nous accorde un entretien avant son retour pour Bruxelles où il vit. En mai dernier, il emportait le Premier Prix du prestigieux Concours Reine Elisabeth. Une rampe de lancement pour ce pianiste de vingt-huit ans dont le talent n’a d’égal que la modestie. Une modestie dangereuse… « Il aurait été possible de ne jamais le découvrir. Il ne se mettait jamais en avant. Heureusement, il y a eu Bruxelles, il a rencontré Louis Lortie… », nous confiait récemment la pianiste et pédagogue Gisèle Magnan, qui le suit depuis l’âge de treize ans. Aujourd’hui, fraîchement doté d’un agent, d’une attachée de presse et d’une maison de disque, il s’apprête à faire paraître un premier enregistrement consacré à Brahms. Ce n’est pas un hasard. Ce compositeur l’a accompagné dans son apprentissage et lui a porté chance dans les concours. C’est d’ailleurs avec son Deuxième concerto qu’il s’est illustré en finale du Reine Elisabeth. « Brahms est une idée fixe. J’ai toujours aimé son orchestration, son instrumentation, l’utilisation qu’il fait du cor naturel. J’ai un faible pour les cuivres, enfant, je rêvais de jouer du trombone. » À Sarrebourg, ville d’industries aux portes du massif des Vosges où il a passé son enfance, son père, professeur de solfège mais aussi organiste, l’emmenait aux offices du dimanche. « Je crois que mon goût de l’orchestre vient de mon père, de l’orgue. Quand on pose ses mains sur les touches, il y a ce répondant très large et puissant. Avec Brahms, on retrouve cette matière. C’est cela qui me touche. Dans son amplitude, la Troisième sonate [au programme de son disque] écrite en cinq mouvements ressemble à une symphonie. Quand on joue cette œuvre, c’est comme si on avait un orchestre sous les doigts. » Le pari est réussi à l’écoute du disque. Ce sont mille et une couleurs qui jaillissent sous ses mains agiles et puissantes. La clarté de la ligne, la vision d’ensemble se déploient dans un jeu en trois dimensions. Le potentiel extraordinaire de Jonathan Fournel, Gisèle Magnan l’a tout de suite décelé quand il est venu se présenter à son premier cours. Elle l’admet bien volontiers : elle n’était pas pressée de répondre aux nombreuses sollicitations de son père. On se méfie parfois trop des enfants prodiges. Lorsqu’il envoie une vidéo de son fils jouant la dantesque Sonate de Liszt, elle tombe en arrêt : « Il n’avait pas seulement des facilités techniques. On voyait qu’il était fait pour ça. Il faisait corps avec l’instrument. C’est comme s’il était né avec un piano dans les mains. » Elle rappelle aussitôt, et s’installe alors avec le jeune interprète une relation de confiance qui dure depuis quinze ans. Jonathan l’appelle affectueusement, avec la complicité du violoniste Augustin Dumay, « tatie Gisèle ». Elle l’accompagne dans son travail et dans ses choix, le prépare aux concours, lui permet de donner des concerts via son association Les Concerts de poche…

Jonathan Fournel
© Robin Ducancel

Jonathan Fournel
Brahms, Sonate pour piano op. 5, Variations Haendel
Alpha
Il intègre le CNSM en 2009 et se perfectionne en 2016 auprès de Louis Lortie à la Chapelle Musicale Reine Elisabeth. Gisèle Magnan l’entraîne vers toujours plus d’ouverture et d’autonomie. Il n’est pas question ici de relation d’emprise exclusive, ou d’un côté « gourou ». Mais elle peut se prévaloir de le connaître jusqu’au bout des doigts : « Elle me connaît si bien qu’elle est capable de savoir si je me trompe de doigté par téléphone ! », s’amuse Jonathan.
Il est bien loin le temps où son tout premier professeur de piano déclarait à son père que « ça ne servait à rien de poursuivre ». Si la passion pour l’instrument n’est pas immédiate, un déclic se produit quand il découvre les enregistrements de Cziffra. En particulier son intégrale Liszt. « Je n’avais pas envie de jouer le “rondo du laboureur”. J’adorais jouer vite et travailler des œuvres trop difficiles pour moi. Par exemple, le Premier concerto de Liszt que je déchiffrais à l’âge de onze ans. Je voulais jouer ce qui était monumental, des œuvres complètement folles et virtuoses, j’aimais bien agiter les doigts, je trouvais ça jubilatoire. »
Un musicien qui ose et prend des risques
Avec Gisèle, il revient aux bases. Beethoven, Mozart. Ils se lancent dans une recherche approfondie sur le son, la forme, les postures, réalisent ensemble un vrai travail d’écoute et d’analyse. Jonathan se passionne pour la recherche. « Il a tout. J’ai vu des tonnes de pianistes. Il ne lui manque rien. Il a des facilités incroyables de lecture, de mémoire. Il est capable de jouer une symphonie de Mahler avec la partition d’orchestre sous le nez. Il sait se l’approprier », ajoute Gisèle Magnan. Son talent, son imagination ne cessent de se déployer. Son professeur cultive son goût pour la perfection. Aucune approximation n’est permise. Elle le fait diriger ses morceaux, imaginer chaque instrument de l’orchestre. Il forge ainsi son jeu pour atteindre un niveau d’exécution et des conceptions musicales dignes des plus grands interprètes. Mais il suffisait de peu pour que Jonathan reste un génie méconnu. « Je commençais à avoir moins de concerts, des difficultés financières, sans parler du Covid ». Il se lance alors dans la préparation du Concours Reine Elisabeth, reporté une première fois pour cause de pandémie. « Il s’inscrit dans la lignée des Richter, Perahia, Lupu. Jonathan a prouvé que cet héritage était vivant et qu’un jury était capable de le reconnaître. Imagination, inspiration, perfectionnisme. Il n’a pas eu ce prix car il a fait de l’effet sur le public, mais parce qu’il a le souci de la beauté pure. » Sera-t-il, comme le présage Gisèle Magnan, « le nouveau Gilels » ?
C’est un musicien qui ose, qui prend des risques. Ce n’est pas étonnant que Dinu Lipatti soit un modèle pour lui. « Quand on l’écoute, c’est comme un poème qui s’écrirait devant nos yeux », nous dit Jonathan à son sujet. Aujourd’hui, il sait que rien n’est encore acquis, que « tout reste à construire ». Il lui faudra porter encore plus haut ses exigences. Ce succès naissant ne lui fait pas perdre le sens des belles choses. Il vit dans son appartement entouré d’une petite jungle de plantes – une passion héritée de sa mère, nourrice et femme de ménage. On lui souhaite de cultiver encore longtemps son jardin extraordinaire.
En concert le 20 nov.à l’église de Fresneaux-Montchevreuil (Oise), le 12 décembre à la Salle Cortot, à Paris, pour la Fondation Goëland, le 17 décembre.à l’Espace Saint-Pierre, à Neuilly-sur-Seine