Après un récital en demi-teinte du jeune Chinois, le pianiste Russe nous a entraîné sur les chemins de l’absolu avec un programme Rachmaninov irréel de maîtrise
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L’histoire est connue, mais sans doute faut-il se la remémorer. Se promenant dans la campagne tourangelle, Sviatoslav Richter tombe amoureux de la Grange de Meslay. C’est là qu’il organisera son festival. Nous sommes en 1963. L’année suivante, première édition. Les plus grands artistes sont venus ici : qui aurait refusé une invitation de Richter ? Maurizio Pollini, Dietrich Fischer-Dieskau, Elizabeth Schwarzkopf, le Quatuor Amadeus, Shura Cherkassky, Nelson Freire, Pierre Boulez, Daniel Barenboim et tant d’autres ont fait le voyage vers Tours.
Pour leur 59e édition, les Fêtes musicales en Touraine ont une belle affiche : le premier week-end s’est ouvert par un récital du pianiste Mao Fujita, Grand Prix Clara Haskil et médaille d’argent du Concours Tchaïkovski. Il faut oser consacrer toute la première partie d’un récital aux « grandes » polonaises de Chopin. Fujita les joue dans leur ordre chronologique et les enchaîne comme autant de mouvements d’une grande œuvre afin de montrer l’évolution du langage du compositeur. C’est le souhait du pianiste à qui, intrigué et pas convaincu, nous avons demandé la raison de ce choix. Comment les joue-t-il ? Avec la souplesse de chat qui ne sort ses griffes qu’exceptionnellement.

Crédit photos : Gérard Proust

Pour un peu, on dirait qu’il joue comme les contemporains de Chopin disait qu’il jouait. Mais dans le même temps, tandis qu’on admire cette fluidité, ses sons pastel, ses phrases sinueuses chantées à ravir, une maîtrise pianistique admirable en soi, on regrette quand même le manque de densité, de poids, d’attaques et par là de contrastes, d’amertume et de tragique qu’il y a dans les opus 26, 40, 44, 53 et 61. De la même façon, la Sonate de Liszt ne sortira pas d’un cadre intime. Fujita fuit la grandiloquence et on lui en sait grée, comme il fuit l’esbroufe. Et pourtant, sa virtuosité et sa maîtrise sont grandes. Mais on n’est pas être saisi par le grand souffle qui parcourt cette œuvre.
Le lendemain, Nikolaï Lugansky rendait hommage à Rachmaninov avec les Moments Musicaux op. 16, la Deuxième Sonate dans sa première version, quelques Préludes op. 32 et quelques Etudes-Tableaux op. 39. Présent dans l’assistance, le chef d’orchestre Jean-Yves Ossonce dira ce qu’il y a à dire d’une telle expérience spirituelle : « Lugansky est comme un oiseau qui du ciel regarde la partition dont il voit et entend tout. » Le public écoute avec recueillement dans un silence de cathédrale, réalisant ainsi le rêve de Richter qui avait saisi en un instant combien cette grange dîmière aimait la musique.
Festival de la Grange de Meslay, 9 et 10 juin