Recommandations autour des œuvres du cahier de partitions

Marcel Proust et la musique ? Sujet inépuisable, aux ramifications complexes, plongeant au cœur même de la société dans laquelle l’écrivain évoluait en observateur attentif et sceptique, amusé et distant autant que profond et impliqué, acteur majeur d’un milieu bourgeois qui entretenait des relations étroites avec la musique.

Mais dans les années de la Recherche du temps perdu, la relation du public avec la musique différait de façon capitale avec la nôtre : elle passait prioritairement par le concert et la pratique en amateur. Proust était amoureux de Reynaldo Hahn, compositeur, pianiste et chef d’orchestre dont l’œuvre reste à bien des égards inconnue, qui a beaucoup appris en musique à l’écrivain abonné au Théâtrophone, ce qui lui a permis d’écouter un casque sur la tête – et en stéréophonie –, la première de Pelléas et Mélisande de Debussy.

Crédit photo : Dutch National Archives, The Hague.

Le cas de l’Opus 49 n° 1

L’imaginaire de Proust en ce domaine venait de ce qu’il avait entendu dans son enfance, dans les salons que ses parents proches et lointains fréquentaient, des petites pièces pour piano ou piano à quatre mains, transcriptions de symphonies et d’opéras, mélodies accompagnées au clavier dans des pièces de musique à l’acoustique feutrée, assourdie par les rideaux et les tapis. En une époque toquée de cet instrument, si toquée que Debussy fustigeait les concertos pour piano de Beethoven et disait que les sonates pour piano du compositeur allemand étaient mal écrites pour le clavier, car il y avait trop d’orchestre dedans !

Ce n’est assurément pas le cas de l’Opus 49 n° 1, la plus facile sur le plan pianistique du corpus des 32 sonates. Elle tombe sous les doigts, va de son allure simple, enfin pas autant qu’on pourrait le croire, car cette œuvre est très émouvante : son premier mouvement, un Andante, n’étaient ses deux thèmes, pourrait parfois passer pour une bagatelle, ce qu’il n’est assurément pas. Il faut chercher sur Youtube ou sur une plateforme de streaming l’interprétation très ancienne mais d’une beauté de son incroyable d’Artur Schnabel, ou celle d’Yves Nat, plus rapide, dont l’allure a quelque chose de plus volontaire qui ne tient pas qu’au tempo.

Franck à la messe du dimanche matin

La musique de Franck était encore toute neuve du vivant de Proust et il y avait alors de grandes chances pour qu’à la messe du dimanche matin on y entende le Prélude pour l’Ave Maris Stella joué à l’harmonium à deux mains de la plus modeste église de village, comme votre serviteur l’a fait dans son adolescence puisque cette partition était présente dans les recueils en usage dans les lieux de culte. Tout comme celles des deux Noël angevin, deux pièces très courtes qui exigent « juste » un jeu legato bien au fond du clavier pour en sortir le son le plus plein possible, mais il faut aussi bien détacher les parties d’accompagnement et bien faire entendre les effets d’écho.

Malheureusement les pianistes les délaissent, il faut donc chercher sur Qobuz l’intégrale des œuvres pour l’harmonium de Franck par Joris Verdin pour se faire une idée du caractère de ce Noël et de son esprit. Et pour l’Ave Maris Stella, sa version originelle pour orgue.

Mendelssohn sur les pupitres des pianos proustiens

Les Romances sans paroles de Mendelssohn étaient présentes sur les pupitres des pianos proustiens… bien qu’elles soient loin d’être toutes commodes à déchiffrer. Le Chant du gondolier op. 19 n° 6 : il faut aller sur Youtube et chercher la version de Guiomar Novaes, pour apprécier l’élasticité qu’il faut mettre à cette pièce, la façon de la faire sonner, de phraser la main gauche ici capitale et le chant par dessus… sommet d’un art pianistique contemporain du petit Marcel, comme l’était celui de Debussy, dont Ondine reste l’un des préludes les plus immatériels, pièce qui ne peut être jouée qu’assimilée totalement pour que du son, des plans sonores, des oppositions de sonorités aux deux mains surgissent la musique.

Les grands interprètes sont pléthores mais, par chance, une vidéo de Catherine Collard la jouant est disponible sur la page Facebook de Meloclassic : la vision de ses mains sera instructive.

Fauré et la production du son proustien

Pour finir, Dolly de Fauré, suite si bien écrite pour quatre mains. Surtout, dans la Berceuse, ne pas traîner, aller de l’avant – même et surtout quand on se trompe ! Cédric Pescia et Titien Collard sur France Musique repris sur Youtube sont parfaits, et l’œil permet de comprendre bien des choses dans la production du son… proustien.