Martha Argerich reste une inspiration majeure pour la jeune génération. Célimène Daudet, Sélim Mazari et Célia Oneto BensaId partagent le regard qu’ils portent sur cette légende vivante.
CÉLIA ONETO BENSAID : « Rien ne semble lui résister »
J’ai « rencontré » cette artiste avec son disque Debut Recital paru chez Deutsche Grammophon que l’on m’a offert lorsque j’avais 8 ans, et j’écoutais en boucle sa Toccata op. 11 de Prokofiev. J’étais fascinée par cette musique, par sa facilité à faire sonner ce mouvement perpétuel de façon motorique, voire industrielle ! Je suis fascinée par sa liberté, son aisance. Rien ne semble lui résister techniquement. Et pourtant son rapport à la musique est toujours ludique. Elle ne semble pas jouer du piano, mais converser, plaisanter ou affirmer des propos graves de ses doigts. Son répertoire est si vaste, du solo à la musique de chambre ! C’est une voie et un modèle merveilleux pour se construire. Elle appartient à ce genre d’artistes que l’on adore adorer : car son modèle n’est pas une figure écrasante, mais au contraire une figure d’émancipation. Elle est un « monstre technique », et pourtant on retient son discours musical. Elle est au service d’une musique vivante, et donc en mouvement. Avec elle, rien n’est figé, et elle me pousse à toujours remettre en question mes choix. Et puis elle me donne envie de trouver ma propre singularité. C’est une artiste d’absolu, sans concession, magnétique et captivante à la fois. Et rien ne vaut son aura sur scène.

Célia Oneto Bensaid
© DR
SÉLIM MAZARI : « Elle m’électrisait littéralement »
Votre rencontre musicale avec Martha Argerich
J’ai l’impression d’avoir toujours entendu Martha Argerich… Mes parents possédaient son enregistrement du Concerto pour piano de Schumann dirigé par Harnoncourt que j’écoutais en boucle jusqu’à ce que le CD soit usé ! Et j’étais fasciné par son enregistrement du Troisième Concerto de Prokofiev.
Ce qui caractérise le jeu de Martha Argerich pour vous ?
Ce qui est toujours frappant chez Martha, c’est son inépuisable énergie. Lorsque je l’ai réentendue il y a un ou deux ans, j’ai été frappé par sa fougue juvénile, toujours menée avec bon goût sans clinquant.
Comment a-t-elle influencé votre jeu ?
Enfant, j’étais saisi par à peu près chacune de ses interprétations souvent assez fulgurantes et aux tempi extrêmement rapides. Elle m’électrisait littéralement, et je garde en tête son toucher racé, tranchant ainsi que sa conduite très évidente sans être jamais maniérée des phrases et des lignes musicales.

Selim Mazari
Paris, 11/01/2019
Photo : Caroline Doutre
Si vous deviez retenir un concert par Martha Argerich ?
Je citais précédemment le Troisième Concerto de Prokofiev. J’ai eu le plaisir de l’entendre deux fois en concert avec Lahav Shani et l’Orchestre Philharmonique de Rotterdam. Je reste encore sous le choc de cette soirée. Pour les curieux, la vidéo est disponible sur le site Internet Medici.tv !
CÉLIMÈNE DAUDET : « Elle est inimitable »
Votre rencontre musicale avec Martha Argerich
J’avais 12 ans lorsque j’ai assisté à un concert de Martha Argerich pour la première fois. C’était à Aix-en-Provence et elle jouait à deux pianos avec Alexandre Rabinovitch. J’ai été très impressionnée et totalement fascinée par la force de sa présence, par ses moyens surhumains et par les sonorités magiques et ensorceleuses qui sortaient de l’instrument. Et la voir jouer en duo était une leçon, car je ressentais déjà ce que la force du partage et de l’amitié représentait pour elle.
Ce qui caractérise le jeu de Martha Argerich pour vous ?
C’est avant tout ce sentiment de liberté absolue qui s’en dégage. On ne sent aucune entrave, aucune contrainte, comme si le piano était un terrain de jeu tantôt jubilatoire, tantôt profond et énigmatique, sans aucune limite technique permettant une imagination toujours renouvelée. Et je ne peux pas m’empêcher d’être fascinée par son tempérament indépendant et indomptable, unique.

Célimène Daudet
Photo : Christophe Berlet
Comment a-t-elle influencé votre jeu ?
Difficile à dire, car elle est inimitable. En revanche cette liberté, cette indépendance évoquées plus tôt seront éternellement une grande leçon musicale et humaine pour moi.
Si vous deviez retenir un enregistrement de la pianiste ?
Je pourrais écouter chaque jour son enregistrement de 1967 du Concerto en sol de Ravel avec Claudio Abbado. C’est pour moi un véritable disque de légende.
Propos recueillis par Nicolas Mathieu