Après 25 ans de chantier

Alors que la vie musicale est à l’arrêt, un gigantesque centre de concerts a été inauguré dans la capitale turque. Après 25 ans de chantier, l’Orchestre symphonique présidentiel turc intègre sa nouvelle résidence. 63 000 m2 intérieurs, une grande salle de 2023 places, une petite de 500, une zone en plein air pour 10000 personnes et, enfin, un musée. L’inauguration s’est faite en présence du président Erdogan et de son ministre de la Culture et du tourisme, Mehmet Nuri Ersoy. « Il sera intéressant de voir quel genre de musique sera joué, signale Marie Mangez, spécialiste en anthropologie culturelle, cela dira quelque chose sur l’orientation de la politique culturelle de l’AKP, au pouvoir depuis 2002. »

La musique, vecteur d’une occidentalisation radicale

Crédit photo : Mehmet Ali Ozcan/AA

Avant cela, retour en 1826. Le sultan MahmoudII dissout par la force l’ordre des janissaires (élite de l’infanterie ottomane), devenu trop indiscipliné. L’armée de l’Empire ottoman est réorganisée. Création à Istanbul de l’ensemble militaire Muzikâ-i Hümâyûn, ancêtre de l’Orchestre présidentiel. Il a pour vocation de stabiliser la nouvelle armée dans l’occidentalisme. En 1924, un an après la fondation de la république de Turquie présidée par Atatürk, l’orchestre est transféré à Ankara. Rupture donc avec Istanbul, capitale ottomane jugée décadente.

La musique devient vecteur d’une occidentalisation radicale. « Plus de musique traditionnelle au conservatoire d’Istanbul, interdiction de passer de la musique ottomane à la radio… Au nouveau conservatoire d’Ankara, on ne jouait que de l’occidental », précise Marie Mangez. Dès 2002, l’AKP, à son tour, se saisit de l’enjeu culturel et prône un retour à l’héritage ottoman. Il s’agit aussi, d’après Marie Mangez, de « montrer au monde l’étendue de la culture turque ».

Projets pharaoniques

Sont lancés une multitude de projets pharaoniques, d’abord à Istanbul, comme la piétonnisation de la place Taksim. Ce projet prévoit, à l’emplacement du parc Gezi, la reconstruction d’une caserne ottomane pour en faire un centre commercial et culturel. Mai 2013, les protestations, d’abord écologiques, enflent en contestation plus large du régime. Le centre culturel Atatürk, proche du parc, devient un symbole de résistance. Erdogan veut en faire un opéra, les opposants s’opposent à sa destruction. La répression, sévère, marque le virage dictatorial et islamiste de l’AKP. Le parti cède sur le parc. Le centre Atatürk, lui, sera détruit. Reconstruit à partir de 2019, il abritera bien un opéra, mais conserve son nom.

À la Philharmonie d’Ankara, la programmation n’est pas encore dévoilée. Mais elle accueillera, en plus de l’orchestre présidentiel, de tradition classique, trois chœurs : polyphonique, classique et folklorique, ainsi qu’un ensemble de musique turc et un autre de danses folkloriques. Une cohabitation symbolique, qui ne fait cependant pas oublier la forte censure de l’art. Interdit depuis 2016, le groupe folk Yorum perdait au printemps dernier sa chanteuse Helin Bölek et son bassiste Ibrahim Göçek à l’issue de grèves de la faim de respectivement 288 et 323 jours.