Le pianiste propose une traversée monumentale de l’œuvre pour piano du compositeur Russe en trois concerts. Nous étions à son premier récital le 1er février dernier au Théâtre des Champs Elysées. 

Hannah Arendt définit la tradition comme ce qui « choisit et nomme, transmet et conserve, indique où les trésors se trouvent et quelle est leur valeur ». Cette vision résume les enjeux de l’intégrale des œuvres pour piano de Rachmaninov de Nikolaï Lugansky au Théâtre des Champs-Elysées pour les 150 ans du compositeur : préserver et transmettre le feu sacré, représenter une génération de pianistes nés après la mort de Rachmaninov qui a établi le compositeur comme sommet du répertoire. Tout Rachmaninov, y compris ses trésors méconnus, pourtant essentiels.

Le récital décolle au cœur des Variations sur un thème de Chopin, avec une 12ème var. aux lignes claires et aux dernières mesures relâchées, à laquelle succède des 13ème et 14ème variations recueillies. Lugansky est dans un bon soir, le piano projette, il atteint des sommets de souplesse, d’absence de tension dans le geste et dans la conduite du discours. Les Études-tableaux op.33 ne seront que chant, contrôle total du clavier. On retiendra l’ataraxie lumineuse de la fin de l’Étude en do majeur. La façon inimitable qu’a Lugansky de nimber, avec la main droite, l’explosion intérieure du thème de la main gauche dans l’étude en ré mineur ; un éclat introspectif, couvert d’un voile sonore.

Crédit photo : Marco Borggreve

Le pianiste incarne le Rachmaninov dévastateur et sombre de l’ultime étude. La sonate en ré mineur est telle qu’elle devrait être : un imposant bloc de granit. Ériger un monument, voilà l’affaire de Lugansky dans cette vaste partition. La beauté pudique du 2ème mouvement lui va si bien ; les transitions, vastes développements et longues phrases du premier mouvement sont splendidement forgés ; le terrifiant final roule sous ses doigts.

Concluons avec ce qui dépasse toute critique : un tel engagement personnel à ce niveau de réalisation, l’inaltérable amour que porte l’interprète aux mêmes œuvres depuis des décennies. Lugansky ne dévie pas, son Rachmaninov est un socle stable sur lequel se reposer. 

Prochains rendez-vous avec Nikolaï Lugansky : 14 mars et 23 mai au Théâtre des Champs Elysées