L’association La Nouvelle Athènes nous transporte à l’époque romantique le temps d’un cours sur un piano Erard de 1806.
Carré avec quatre pédales, une sonorité si rare qu’elle en est inouïe. Un piano Erard de 1806 vient de révéler ses secrets. Son refuge ? Un studio de l’Arcal, dans le 20e arrondissement de Paris. C’est ici que La Nouvelle Athènes organise des masterclasses et ateliers de formation afin de présenter l’ins trument aux étudiants. Ce vieux seigneur de plus de deux cents ans n’a cependant pas pris une ride. Investie dans la restauration de pianos du xixe siècle et la redécouverte des sons d’époque, La Nouvelle Athènes a fait appel à Christopher Clarke, véritable maître d’art, pour restaurer l’instrument avec exigence (voir Pianiste n°120).
C’est ici que la jeune pianiste Hyewon Ha, étudiante au CNSMD de Paris, prend un cours avec Luca Montebugnoli, l’un des membres fondateurs de l’association. Sylvie Brély, la fondatrice et directrice de La Nouvelle Athènes, assiste à cette classe qu’elle qualifie d’« archéologie culturelle ». « Il ne s’agit pas de trouver un son authentique : notre monde sonore n’est plus du tout celui du xixe siècle, explique-t-elle. Il s’agit de déployer un espace où la recherche esthétique peut se développer. »
Le cours commence. « On joue avec le pied droit ou le pied gauche ? » demande Hyewon à Luca. « On peut jouer avec les deux. » En glissant d’une pédale à une autre, le piano se métamorphose. Le voilà devenu harpe. « Ce contact ! C’est dur avec le pouce », remarque l’étudiante. Le clavier est exigeant et n’accepte que les « gestes nets et précis », indique le professeur. L’instrument n’est pas le seul à se transformer ; l’interprète aussi se rééduque. Le positionnement des mains, le toucher, le geste, l’oreille… c’est tout le corps qui part en quête de ce son originel.

Crédit photo : Bernard Richebé
Le piano Erard 1806 de La Nouvelle Athènes
L’éducation musicale d’après-guerre a rompu avec le jeu et la composition du passé romantique ; le piano Erard de 1806 ne parle pas la langue des pianos modernes. Il faudra de la patience pour l’apprivoiser. Pour regagner cette sonorité perdue, les musiciens et chercheurs peuvent compter sur de précieux traités écrits et témoignages audios.
Mais, aujourd’hui, c’est l’instrument qui enseigne et éduque. Le corps en alerte s’adapte à ses exigences, s’éveille sur son clavier et se met à penser. Pour comprendre le répertoire du xixe siècle, il faut récupérer son jeu, le retranscrire, le réinventer. La recherche organisée et académique est nécessaire, mais ne suffit pas : « Sans engagement en première personne, pas de style romantique », affirme Sylvie Brély. « Chaque piano est un monde en soi, affirme bientôt Luca, le pianoforte, en tant qu’instrument, n’existe pas. » En trois cents ans, les pianos se multiplient dans les pays, régions et villes, et ne se ressemblent pas.
Le piano Erard de 1806 mène Hyewon dans un univers qui lui est propre : merveilleux et pittoresque. Au sommet de ses alpages enchanteurs, l’instrument a entonné Le Ranz des vaches, de Louis Adam, le 20 mai, lors d’un concert enregistré. Luca s’est chargé de faire résonner ses trémolos.
Harpe, basson… Une nouvelle pédale et les étouffoirs s’ouvrent. C’est désormais un véritable orchestre qui naît sous les doigts de la pianiste. « Il faut insister sur le forte », conseille Luca. Le piano Erard de 1806 évolue habituellement dans un monde délicat d’intimité
et d’ambiances feutrées. C’est ainsi que, loin des grandes scènes de concert, le studio de l’Arcal se métamorphose à son tour en un véritable salon du xixe siècle.