Avec « Vivian : clicks and pics », le compositeur Benjamin Dupé en résidence au théâtre de Caen propose un opéra de chambre autour de la fascinante artiste américaine décédée en 2009 et découverte après sa mort. Une symbiose réussie du théâtre, de la musique et de la photographie.

À Caen

Une ombre massive, projetée au sol, domine une surface immaculée. Un sac ouvert laisse apparaître le magazine Time près d’un bassin d’intérieur. En arrière-plan, un piano. L’image qui surplombe le décor ressemble à s’y méprendre à du Vivian Maier, elle qui photographiait comme personne les îlots de solitude. L’ombre pourrait être la sienne. Qui était-elle ? Qui était cette photographe-nourrice qui arpentait New York et Chicago dans les années cinquante, un Rolleiflex autour du cou? Qui était cette femme qui stockait des milliers de négatifs et connut une gloire posthume par le truchement d’un agent immobilier ayant mis la main sur son trésor? Cette question hante l’opéra de chambre signé Benjamin Dupé qui ouvrait cet automne la saison du Théâtre de Caen. Au lieu de lever le mystère, le spectacle l’épaissit encore davantage et c’est là l’une de ses réussites majeures: il rend son sujet d’autant plus captivant.

Crédit photo : Vivian Maier Maloof Collection

✔ 14 janvier, Gradignan
✔ 1er et 2 avril, Gap
✔ 27 avril, Valence
✔ 11 et 12 mai, Clermont-Ferrand

Léa Trommenschlager, la soprano, accompagnée de la pianiste Caroline Cren, fait son entrée en scène. Elle s’interroge sur la personnalité double de la photographe, en rappelant cette vérité : nounou pauvre et artiste de génie, quelque chose ne colle pas. Curiosité risquée puisqu’elle tourne à l’attraction démentielle : elle finira dans une confusion des émotions par se dédoubler à son tour, devenant, elle-même, Vivian Maier. La photographe aurait-elle retourné son appareil sur elle comme une arme pour lui faire perdre la raison ? Gare à ceux qui redonnent vie aux fantômes de l’oubli… surtout pour en tirer profit post mortem ! Pendant ce temps, la photographe Agnès Mellon joue elle aussi les doubles inquiétants, en recréant en direct des clichés de la « nanny » franco-américaine, projetés au cours du spectacle.

La fascination opère. La présence scénique et la force d’incarnation de Léa Trommenschlager n’y sont pas étrangères. Sa voix, précise, souple, adaptable à tous les registres, son interprétation expressive et nuancée mettent en valeur la langue ciselée, l’écriture directe et puissante de Guillaume Poix dont le texte Tout entière a été adapté pour le livret. Les séquences de parlé-chanté permettent d’en apprécier pleinement toutes les qualités. La musique qui mêle piano, chant et électronique, alimente ce climat toujours plus angoissant. Le piano préparé de Caroline Cren, qui oscille entre clusters, instants très percussifs et moments plus mélodieux, soutient ce théâtre des émotions dans lequel la réalité et la fiction s’entremêlent en une troublante partition.