Si le génie du compositeur de Siegfried s’est peu illustré au piano, les œuvres recensées par Schott retracent néanmoins avec charme son évolution musicale et annoncent ses grands opéras.

Parmi les vingt et un volumes constituant l’œuvre intégrale de Richard Wagner publiée par Schott, l’un d’eux est consacré à une poignée d’œuvres pour piano, lesquelles occupent une place discrète aux côtés des immenses opéras du compositeur. Basé sur l’édition critique de 1970 de Carl Dahlhaus, ce recueil réunit onze œuvres pianistiques qui ont jalonné la vie de Wagner, de ses premiers essais musicaux jusqu’à l’époque de Parsifal, son ultime opéra. Avant tout, ces pièces modestes abritent les traits dramatiques de ses opéras, illustrant – à petite échelle – l’évolution de son langage musical à travers le piano.

C’est par cet instrument que Richard Wagner s’est formé à la musique, à l’âge de sept ans. Mais le beau-fils du dramaturge Ludwig Geyer se lassa rapidement des gammes et des exercices, montrant en revanche une prédilection pour des ouvertures d’opéras qu’il apprenait à l’oreille. Toutefois, le piano accompagna le compositeur tout au long de sa vie, outil d’imagination par lequel Siegfried, Le Crépuscule des dieux ou encore Les Maîtres chanteurs prirent forme.

Alors étudiant à l’université de Leipzig, Wagner s’essaye à la composition, s’appuyant sur le modèle classique de Pleyel pour livrer une première sonate en quatre mouvements. Si l’écriture peu raffinée et les enchaînements routiniers de cette œuvre en si bémol majeur trahissent la jeunesse de son auteur, les thèmes dramatiques sur fond d’accords dévoilent déjà l’ADN symphonique de sa pensée. Traits qui marquent aussi une Polonaise en ré majeur et une Fantasia aux proportions ambitieuses, culminant avec la Grande sonate où s’épanche la fervente admiration du jeune compositeur pour Beethoven.

 Niveau moyen à difficile 

Richard Wagner,
Œuvres pour piano,
Schott

Esquisses imparfaites de ses drames musicaux à venir, ces œuvres de jeunesse cèdent à une succession de feuilles d’album composées pour son entourage proche. Ainsi, le piano devient la voie d’expression d’une rare intimité, témoignant des liens fidèles que Wagner tissa avec son éditeur Franz Schott, la princesse Pauline von Metternich-Winneburg et enfin, Mathilde Wesendonck, épouse du mécène Otto Wesendonck et auteure des poèmes qu’un Wagner amoureux mettra en musique.

À Mathilde, il dédie trois de ses œuvres pour piano, dont une Sonate en la bémol majeur, composée en 1853 peu après sa rencontre avec le couple. L’œuvre, sans doute la meilleure de sa production pianistique, dévoile un nouveau regard sur une forme abandonnée vingt ans auparavant, remaniée en un seul mouvement et sculptée dans la même veine poétique que la Sonate de Liszt, composée la même année.

À partir d’un premier thème marqué « ruhig », lequel porte les échos de l’opus 26 de Beethoven, Wagner érige un prélude digne de ses opéras, imprégné d’une intensité ardente qui s’accumule à travers l’amplitude des phrases et les octaves palpitantes de la main gauche. Les marques du drame wagnérien y sont : climat grisant, harmonies fluctuantes, richesse mélodique ainsi qu’une maîtrise de texture et de récit jusqu’alors inédite en ce qui concerne ses compositions pour piano. Sans doute entendons-nous le leitmotiv de Siegfried ou les idées naissantes de Tristan dans ce poème symphonique pour piano, écrit lorsque le compositeur s’attelait à L’Or du Rhin. Hélas, certaines pièces ne figurent pas dans le recueil de Schott, notamment celle tirée du Prélude de Tristan et Isolde et la poignante Élégie. Preuve que le piano de Wagner nous réserve encore des trésors à découvrir.