La pianiste s’engage avec force et générosité pour aider son pays et faire vivre la musique.
C’est une jeune femme pétillante et solaire qui nous reçoit « en visio » – selon l’expression désormais consacrée – mal- gré le temps couvert qu’on devine en arrière-plan. Depuis les Pays-Bas où elle habite, elle nous raconte ce projet fou auquel elle participe cet été : l’« Ukrainian Freedom Tour ».
La cheffe d’orchestre canadienne Keri-Lynn Wilson a convié la soliste de trente-deux ans à se produire aux côtés de l’Ukrainian Freedom Orchestra, une formation créée pour l’occasion, qui réunit les meilleurs musiciens ukrainiens – des instrumentistes membres des grandes phalanges ukrainiennes comme des orchestres internationaux – pour une tournée mondiale dans les salles et festivals majeurs d’Europe et des États-Unis : BBC Proms, Philharmonie de l’Elbe, Konzerthaus de Berlin, Metropolitan de New York, Chorégies d’Orange…
« En temps normal, une tournée internationale de cette envergure se monte des années à l’avance. Il y a eu un élan incroyable », souligne Anna Fedorova qui rejoindra les soixante-quinze musiciens pour interpréter le 2e Concerto de Chopin. Cette tournée a un sens politique fort. Des musiciens ont été démobilisés pour participer à l’événement.

Crédit photo : Marco Borggreve
« Le ministère de la culture ukrainien accorde une dérogation spéciale aux musiciens d’orchestres du pays en âge d’être enrôlés dans l’armée, leur permettant ainsi de déposer leurs armes et de prendre leurs instruments et démontrer le pouvoir de l’art sur l’adversité », précise un communiqué. « Le but de cette tournée est d’apporter un message puissant d’unité et de sensibilisation à travers la musique. Tous ces musiciens ukrainiens sur scène, cela représente un symbole très puissant », ajoute la pianiste. Sur le plan financier, cette initiative a pour but de soutenir les artistes, et les dons pourront être directement reversés au ministère de la Culture ukrainien.
Chopin donc pour accompagner ce message, un compositeur cher à son cœur, à qui elle a consacré un disque après le premier confinement. « Depuis l’enfance, je me sens reliée à Chopin et à sa musique qui occupe une part très importante de mon répertoire. Il y a dans son œuvre une forme de paix et de réconfort, et de l’autre, mélancolie, nostalgie et tristesse. Mais, malgré tout, beaucoup de lumière dans cette tristesse. Chopin vivait une situation relativement similaire aux réfugiés ukrainiens. Il a été forcé de quitter la Pologne à la suite de l’invasion russe et a passé le reste de sa vie en France. Cette nostalgie liée à ses racines est toujours très pré- sente dans sa musique. »
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard que la Pologne soit un moteur dans le projet de la grande tournée estivale. « Je suis allée récemment à Varsovie et j’avais l’impression d’être en Ukraine ! », observe Anna Fedorova, qui s’est démenée pour trouver des solutions d’hébergement à ses proches réfugiés. « En ce moment, mes parents vivent chez moi. Ils sont professeurs de piano au conservatoire de Kiev et ici, aux Pays- Bas, ils ont retrouvé certains de leurs étudiants hébergés dans des familles d’accueil avec piano et peuvent ainsi travailler. Mes parents continuent d’enseigner et de jouer. » La jeune femme a également créé avec son mari la fondation Davidsbündler, dont le but est d’offrir une bourse à des jeunes défavorisés pour leur permettre d’accéder à une éducation musicale de très haut niveau. Actuellement, la priorité est donnée aux réfugiés ukrainiens et aux professeurs pour leur assurer un revenu. Il est peu de dire que la jeune femme s’engage sur tous les fronts !
SOUS LES PROJECTEURS
Elle sera cet été également sous les projecteurs du très sélect festival de Verbier, en remplacement du pianiste Denis Matsuev qui devait jouer sous la direction de son complice Valery Gergiev. Elle interprétera le 2e Concerto du compositeur russe Rodion Shchredrin, partition qu’elle résume comme un « jazz sombre, très puissant émotionnellement ». Et dès la rentrée de septembre, elle poursuivra l’ascension de son Himalaya pianistique : la parution des Concertos 2 et 4 de Rachmaninov avec l’Orchestre de Saint-Gall et Modestas Pitrenas (Channel Classics). En attendant le 3e Concerto début 2023 pour compléter l’intégrale, on vous recommande d’ores et déjà sa version du premier : spontanée, généreuse, délicate, puissante, romantique. Bref : à son image.
✔ 15 juillet Festival de Verbier
✔ 2 août Chorégies d’Orange
✔ 9 septembre Disque Rachmaninov
avec l’orchestre de Saint-Gall (Channel Classics)